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26 novembre 2009 4 26 /11 /novembre /2009 16:13

Sociologie des villes


L’ouvrage de Yankel Fijalkow est réédité (La Découverte, coll. "Repères", 2007)

Par Stéphanie Fraisse [1]

Lien vers l’article

www.liens-socio.org/

Cette troisième édition du livre de Yankel Fijalkow, maître de conférences en urbanisme et aménagement à l’université Paris-VII-Jussieu, présente un état des recherches sur la ville. Cet ouvrage est avant tout dédié à la sociologie urbaine mais mobilise les apports de la géographie, de l’ethnologie, de la démographie et de l’histoire.

L’auteur s’appuie sur des travaux de terrains qu’il met en perspective à travers une démarche historique. Les recherches d’histoire urbaine, qui connaissent un développement depuis les années quatre-vingt, permettent de confronter les débats d’urbanisme contemporain et les théories des sciences sociales qui y correspondent. Les différents chapitres reprennent des auteurs classiques sur le thème considéré en situant leurs écrits dans leur contexte social et politique. Ils présentent également des études plus contemporaines menées en France mais aussi à l’étranger qui viennent enrichir l’analyse.


L’auteur cherche à répondre à une question fondamentale : en quoi la ville est-elle un objet sociologique ? (chapitre I). Il s’appuie sur trois axes de réflexion pour aborder ce sujet : le rapport entre espaces urbains et sociétés (chapitre II), la ville comme mode de vie (chapitre III), la ville comme lieu du politique (chapitre IV). Le dernier chapitre consacré à l’enquête urbaine expose les outils documentaires, cartographiques et statistiques dont dispose le chercheur urbain pour mener l’étude d’un lieu, qu’il s’agisse d’une ville ou d’un quartier.

Le premier chapitre présente une série d’indicateurs statistiques pertinents pour mesurer le phénomène urbain dans le monde et en délimiter l’espace. L’auteur cherche à dégager les éléments fondamentaux de l’organisation urbaine et observe que la ville, si elle est avant tout une agglomération de populations dans une étendue limitée, est aussi un espace formel (plan, bâtiments, transports) perçu et approprié par des habitants. Elle contient une série d’espaces différenciés selon les modes de vie ou les regroupements communautaires. Y. Fijalkow souligne enfin que la proximité spatiale est déterminante pour décrire la ville car c’est elle qui permet le déploiement des réseaux économiques et sociaux


Les différentes approches sociologiques de la ville ont voulu y voir un produit économique et social, facteur d’innovation par exemple, dans la mesure où « elle favorise la diffusion, la monétarisation de la société, la mobilité sociale, l’adéquation entre l’offre et la demande de main d’œuvre qualifiée, l’élargissement des débouchés de la production agricole et industrielle. » [2] Cette approche économique de la ville pose d’abord aujourd’hui la question foncière et en cela l’origine et l’influence des valeurs de l’immobilier sur les phénomènes de distribution des groupes sociaux et des activités économiques dans la ville.

Mais les villes sont aussi l’expression des cultures qui les ont produites et peuvent à leur tour devenir productrices de cultures ou de sous-cultures. Le courant culturaliste de l’école de Chicago a souligné dès les années 20 l’importance de l’espace construit comme élément fondateur et constitutif des communautés. On retrouve d’ailleurs de façon sous-jacente dans cette hypothèse, l’idée d’une action directe du milieu des villes (ou des banlieues) sur le comportement (déviant) des individus. Ce n’est pas sans lien bien sûr avec le développement depuis les années 80 d’un urbanisme sécuritaire qui cherche à éliminer les espaces publics considérés comme criminogènes.


Le second chapitre soulève à cet égard la question de l’influence des différentes formes spatiales, de villes et d’habitats, sur la cohésion des groupes sociaux de résidents. Maurice Halbwachs, l’un des pionniers de la sociologie urbaine, va montrer les rapports entre l’intégration des groupes sociaux et la ville [3]. Il s’intéresse d’abord au marché foncier et au rôle déterminant du prix du sol, urbain ou rural, sur la répartition des populations dans l’espace. Les prix fonciers sont déterminés par l’ajustement entre l’offre et la demande mais aussi par la représentation de l’espace qu’en ont les acteurs (par exemple, ce que peut devenir tel ou tel quartier), ce qu’il appelle « le prix d’opinion ». L’intervention de l’Etat ou des collectivités locales affecte ensuite les conditions du marché et donc la répartition des groupes sociaux dans la ville.

Le sociologue Chombart de Lauwe contribue à son tour au développement de la sociologie urbaine en France en se penchant sur la question des besoins et des aspirations de la population ouvrière en espace, confort, conditions de vie, transport. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans un contexte de rénovation urbaine, ce sociologue cherche à savoir dans quelle mesure les nouveaux quartiers de logement collectifs et sociaux offrent à la classe ouvrière de bonnes conditions de développement en comparaison des quartiers ouvriers existants. Son étude de la transition entre ces formes d’habitat et son ethnographie des grandes cités constituent un témoignage important sur les « violences urbaines » et les stratégies des différents groupes sociaux.

Ces recherches pionnières inspirent aujourd’hui un certain nombre d’enquêtes stimulantes sur les espaces que sont les grands ensembles, les zones pavillonnaires reflétant le phénomène de « rurbanisation » ou encore les centres anciens « gentrifiés ». Yankel Fijalkow engage ainsi un riche débat par études interposées sur la pertinence de la notion de « mixité sociale » telle qu’elle est appréhendée par les pouvoirs publics et s’appuie sur diverses expériences étrangères pour qualifier ce qu’il appelle le « dynamisme de la ségrégation douce » et ses mécanismes.


Le troisième chapitre cherche à observer le lien entre les conditions propres au milieu urbain et l’existence de modes de vie spécifiques dans les différents quartiers de la ville. C’est le projet de « l’écologie urbaine ». Le mode de vie se construit en effet en interaction avec l’environnement : l’homme s’adapte à son milieu qui résulte à son tour de l’action humaine. Le mode de vie urbain est spécifique mais pour autant il n’entraine pas une homogénéisation des comportements comme en témoignent les sociologues de l’école de Chicago qui montrent très tôt la multiplication des petits groupes d’appartenance et identifient les mécanismes d’agrégation spatiale (modèle de Wirth). Ces recherches viennent éclairer les problématiques contemporaines de l’intégration de populations modestes et immigrés, de la ségrégation dans la ville ou encore des « violences urbaines » et donnent lieu à un grand nombre d’études de communautés urbaines. Plusieurs enquêtes françaises se sont par exemple penchées sur la complexité des processus ségrégatif, montrant par exemple que si les ménages effectuent leur choix de localisation en fonction de l’attractivité sociale des quartiers, de contraintes de transports et d’éloignement du lieu de travail, la sectorialisation spatiale s’explique aussi par des stratégies utilitaires telles que la volonté de se rapprocher de l’aire de recrutement des lycées préparant aux grandes écoles et d’éviter les collèges étiquetés en difficulté [4]. Toutefois, des facteurs plus culturels peuvent aussi intervenir dans les choix de résidence urbaine sous la forme par exemple d’une volonté de rapprochement communautaire. L’hypothèse est alors que le désir de partage culturel, de resserrement des liens sociaux ou d’entraide sont prévalents. Jean-Claude Toubon et Khelifa Messamah montrent ainsi comment le fonctionnement des réseaux d’accueil dans le quartier immigré de la Goutte d’Or représente un repère pour les immigrés nord-africains installés en France [5]. Dans un autre registre, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont observé les stratégies de concentration spatiale de la haute bourgeoisie en région parisienne [6] et essaient de comprendre le rôle de l’espace urbain dans les stratégies de reproduction sociale de cette classe. Selon ces auteurs, la haute-bourgeoisie privatise l’espace public pour le rendre plus « serein » et privilégier « l’entre-soi » en se livrant à un processus d’autoségrégation.

L’analyse du travail collectif d’élaboration de la décision publique, de la manière dont les élus, les habitants, les entreprises contribuent aux choix d’organisation de l’espace urbain, fait l’objet du quatrième chapitre. L’auteur présente cette partie sur l’organisation politique et le « gouvernement de la ville » selon trois axes soit trois approches sensiblement différentes de la politique urbaine. Il revient ainsi assez longuement sur les réflexions de Max Weber qui observe que le développement de la ville coïncide avec celui du pouvoir légal rationnel représenté par les appareils bureaucratiques. Puis il présente l’approche marxiste qui conçoit la ville comme un espace de contradictions, autour notamment des études de Manuel Castells. La planification urbaine correspond dans cette perspective à une intervention politique pour résoudre des conflits sociaux. Enfin, depuis les années 1990, le thème de la « gouvernance » s’est largement diffusé et permet de décrire « le phénomène de fragmentation du gouvernement et des services urbains, la territorialisation des politiques publiques et la volonté affichée d’associer les habitants aux décisions » (p. 80) L’auteur s’interroge alors sur les modalités de la participation des citoyens dans un contexte où les logiques de domination économique, culturelle et symbolique affectent largement les décisions.


L’ouvrage souligne en définitive l’intérêt d’une approche historique de la sociologie urbaine. Les travaux évoqués par Y. Fijalkow attestent du caractère éclaté des études de sociologie urbaine mais les met en cohérence grâce aux apports de la sociologie classique. L’ouvrage renvoie enfin aux rapports entre institutions publiques et chercheurs. Dans son dernier chapitre, l’auteur prévient d’ailleurs les jeunes sociologues de veiller à ce que leur recherche ne serve pas simplement à légitimer une action publique...

 


[1] Professeur de sciences économiques et sociales à la Cité scolaire internationale (Lyon) et responsable du site internet SES-ENS : http://ses.ens-lsh.fr.

[2] P. Bairoch, De Jéricho à Mexico. Villes et économies dans l’histoire, Gallimard, 1985.

[3] M. Halbwachs, Les Expropriations et le prix des terrains à Paris (1860-1900), Thèse de droit, 1909 ; M.Halbwachs, La classe ouvrière et les niveaux de vie. Recherches sur la hiérarchie des besoins dans les sociétés industrielles contemporaines. Thèse de sociologie. 1913.

[4] A.Van Zanten, L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieues.PUF, 2001.

[5] J-C.Toubon et Messamah K., Centralité immigrée. Le quartier de la Goutte d’Or, L’Harmattan, 1991.

[6] M.Pinçon et M.Pinçon-Charlot, Dans les beaux quartiers. Seuil, 1989

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