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5 mars 2009 4 05 /03 /mars /2009 18:16

 

L’urbanisation caribéenne. Effets et contrastes

Didier MOULLET, Pascal SAFFACHE, Anne-Laure TRANSLER

Université des Antilles et de la Guyane

 

 

Introduction

Bien que les îles de la Caraïbe présentent des caractéristiques historiques, culturelles et économiques similaires, leur urbanisation et leur évolution démographique révèlent des discontinuités majeures. De façon générale, l’urbanisation est contrastée, ce qui conforte l’idée selon laquelle ces espaces insulaires sont des objets hétérogènes, en dépit de leurs critères historiques et culturels homogènes.

Les mutations socioéconomiques observées ont des incidences sur la consommation de l’espace, avec notamment le développement de nouvelles activités économiques dont l’objectif principal repose sur la diversification des secteurs d’activités et un développement rapide du tourisme et de l’industrie. Parallèlement, le déclin de l’activité agricole s’accompagne d’un important exode rural. Ces mutations inter et intra insulaires sont observables dans toutes les îles de la Caraïbe.

 

I. Urbanisation et contrastes territoriaux

L’urbanisation est un processus qui touche inégalement les îles de la Caraïbe, puisque la population urbaine de l’île de Montserrat avoisine 13,8 %, alors que celle de Trinidad est de 76,2 % ; les migrations internes jouent un rôle important dans cette distribution.

Les logiques d’organisation spatiale des îles de la Caraïbe sont traditionnellement convergentes ; la ville principale se localise dans la partie occidentale de l’île, qui constitue la porte d’entrée historique des colonisateurs. Cette localisation est aussi climatique car, elle résulte de la dichotomie entre les côtes au vent et sous le vent. Ces villes ont développé ensuite une position multifonctionnelle en renforçant leur rôle d’interface maritime, par le biais d’une littoralisation de leurs activités et du développement de leurs zones portuaires. L’effet polarisant de la « ville-port » a pour conséquence de favoriser les migrations centripètes des zones rurales vers les secteurs urbains ; c’est le cas à Bridgetown (Barbade), par exemple.

Ainsi, la plupart des îles de la Caraïbe disposent d’une forte population urbanisée autour d’une « capitale-port » multifonctionnelle, et il n’est pas rare que ce processus de concentration s’étende sur plusieurs divisions administratives, constituant ainsi une zone agglomérée. La capitale est située généralement dans une rade ou une baie, l’agglomération se développant ensuite sous la forme d’anneaux semis concentriques, partant du cœur de la « ville-port » vers sa périphérie. Seule l’île de Saba ne répond pas à cette logique en raison de son relief montagneux.

 

De 1950 à 2005, le taux de croissance annuelle de la population urbaine sainte-lucienne avoisinait 2,09 % en moyenne, alors que la population rurale enregistrait une croissance de 0,8 % ; en 2005, la population de l’île était estimée à 161000 habitants pour une croissance moyenne annuelle de 1,7 % (World Population Prospects, 2004).

Bien que les sols volcaniques de cette île soient très fertiles, la topographie limite l’utilisation des terres exploitables (28 % seulement) ; une diminution constante, associée au recul du nombre d’ouvriers agricoles, a conduit de nombreux habitants à se tourner vers la principale ville de l’île : Castries. L’immigration interne s’est poursuivie grâce au développement du tourisme et des zones résidentielles de la paroisse de Gros Islet, dont le petit village s’est transformé depuis en une véritable ville (au nord de Castries). Parallèlement, le développement d’un complexe industriel dans la partie méridionale de l’île a permis une redistribution de la population et fait de Vieux Fort la seconde ville de Sainte-Lucie (PAHO, 2002).

 

D’autres îles présentent des taux d’urbanisation élevés ; c’est le cas d’Anguilla dont la population est urbaine à 100 % ; la superficie de cette île étant très faible (91,57 km²), il est difficile de faire la distinction entre les zones rurales et les zones urbaines. Ses sols arides n’étant pas favorables au développement d’une activité agricole, le tourisme de luxe et les services bancaires sont les principales ressources de l’île. 

 

Depuis le milieu des années 1950, l’urbanisation est devenue un phénomène important, car elle concernait au départ 40 % de la population insulaire caribéenne contre près de 60 % aujourd’hui ; les divisions administratives les plus fortement urbanisées et peuplées sont généralement celles qui accueillent la capitale. Cette dernière remplit de nombreuses fonctions comme celle d’interface maritime ou encore de pôle politico-administratif et économique, ce qui amplifie son attractivité.

 

Les grandes zones urbanisées de la Caraïbe correspondent généralement aux « villes capitales » autour desquelles se sont développés des espaces agglomérés qui peuvent s’étendre sur plusieurs divisions administratives. La petite taille de ces États insulaires est une véritable contrainte pour leur extension horizontale, ce qui sous-tend la formation de villes compactes sur le littoral. L’architecture urbaine conserve souvent des vestiges de l’époque coloniale, avec des bâtiments et des maisons parfaitement rénovés sur la base des modèles architecturaux de l’époque. La structure urbaine est généralement la même quelle que soit l’île étudiée, le site de la capitale se trouvant au fond d’une baie.

Le plan hippodamien de ces villes (appelé aussi plan en damier) se caractérise par des rues qui se croisent à angle droit et qui sont censées permettre une organisation rationnelle de l’espace. Des villes comme Port-of-Spain, Castries, Roseau ou encore Basse-Terre (Guadeloupe) sont autant d’exemples où le plan en damier est un héritage de la période coloniale. Cette distribution présente tout de même des inconvénients : allongement des temps de trajets, complications liées à la topographie, mais plus encore manque de lisibilité de l’espace urbain. Dans le cas de Roseau ou de Castries, par exemple, le plan en damier leur confère une certaine confusion organisationnelle du fait d’un manque d’homogénéité des blocs géométriques.

Un processus concurrentiel s’installe aussi entre la ville principale et sa périphérie, mais on observe dans de nombreux cas une césure nette entre les zones urbaines et les zones rurales.

             

L’exode rural permet de comprendre l’urbanisation rapide de îles de la Caraïbe. Ces dernières doivent accueillir chaque année, des flots de populations rurales pauvres, qui n’arrivent pas à s’intégrer ce qui sous-tend une augmentation de la pauvreté urbaine, tout en accentuant la ségrégation économique et sociale entre le rural et l’urbain (Filgueira, 1995). Quand les zones urbaines ne peuvent plus accueillir ces populations rurales, leur seule alternative est de migrer vers d’autres îles de la Caraïbe ou vers les grandes métropoles nord-Américaines ou européennes.

Les disparités régionales sont nombreuses au sein de ces espaces insulaires, la polarisation exercée par le secteur urbain sur le reste du territoire ne faisant qu’accentuer les déséquilibres régionaux. D’un point de vue général, la pauvreté était plus importante au sein des campagnes, mais la rapidité de l’urbanisation et l’exode rural ont conduit à un relatif équilibre entre les indices urbains et ruraux de pauvreté (Bouillon, 2003). Toutefois, cela ne se vérifie pas dans toutes les îles de la Caraïbe, puisque la pauvreté n’est pas égale entre la ville et la campagne en Dominique ; par exemple, la pauvreté existe dans les zones rurales et urbaines, mais trois quarts des ménages considérés comme pauvres vivent dans les campagnes dominiquaises ; le quart restant se répartissant au sein des deux principaux pôles urbains, Roseau et Portsmouth (Country Poverty Assement, 2003).

 

La distinction entre pauvreté rurale et urbaine semble importante et il est possible d’identifier certains aspects qui témoignent de ces différences. La pauvreté rurale se manifeste le plus souvent par des difficultés d’accès aux services de santé ou encore à l’éducation, en raison d’un manque d’infrastructures. Au sein des villes, la pauvreté est plus visible et la population concernée plus vulnérable. Bien que la criminalité affecte toutes les couches de la société, les pauvres sont plus sujets à celle-ci en milieu urbain. La criminalité à pour conséquence de chasser les populations  aisées vers l’extérieur.

Aujourd’hui, la population qui réside dans le centre de Roseau n’est pas importante et les lieux de résidence se trouvent essentiellement en périphérie. Des villes comme Goodwill et Bath Estate, datant respectivement des années 1950 et 1980, constituent la nouvelle périphérie résidentielle de Roseau (Lipsanen, 2001).

À l’image de bien des centres urbains antillais, l’exemple de Roseau est intéressant dans la mesure où il n’est pas très étendu et où il dispose de quartiers qui se différencient par des critères socioéconomiques clairement définis ; le centre-ville (The central district of Roseau) n’accueille que très peu de résidants et les activités nocturnes se limitent le plus souvent à une faible activité commerciale en temps normal. Des zones de banlieues se sont développées autour de ce centre urbain dès le début du XIXe siècle avec l’établissement de Potter’s Ville et de Newtown ; ensuite, à la faveur d’un vrai programme naquit le quartier de Goodwill (Honychurch, 2004). L’idée initiale de ce projet immobilier est le désengorgement du secteur de Potter’s Ville. Le quartier de Goodwill accueille toutefois une partie de la population aisée de Roseau, avec une hiérarchisation indirecte qui s’opère des parties les plus basses aux parties les plus hautes du district ; on retrouve à Lower Goodwill des maisons individuelles sans jardin privé occupées par une population de classe moyenne, tandis que les hauteurs de ce district (Upper Goodwill) accueillent des résidants bien plus aisés (Lipsanen, 2001). Goodwill a donc fait l’objet d’un « programme d’aménagement concerté » dans le courant des années 1950 et les fondements de ce programme consistaient au développement de logements pour les populations aisées.

 

Les îles de la Caraïbe, sont sujettes à un phénomène de ségrégation socio-spatiale et socio-économique. Cette stratégie résulte de facteurs : démographiques et économiques.

Les différents secteurs qui supportent l’économie ne pouvant absorber l’intégralité des demandeurs d’emplois, ils se voient dans l’obligation d’en refuser un grand nombre ; le tourisme et les services financiers sont le plus souvent les secteurs d’activités les plus prometteurs, mais ils ne permettent pas de répondre à la demande du marché du travail. Cela se traduit par une importante émigration vers des îles comme la Grenade, la Dominique ou encore Saint-Vincent. L’absence d’emploi conjuguée à une croissance démographique positive, contribue à l’exclusion sociale et accentue aussi les déséquilibres régionaux internes. Ces inégalités se traduisent par une distribution irrationnelle des ressources à un niveau tant régional qu’au sein même de la population à travers des différences de revenus. Les causes sont donc très complexes, car elles sont susceptibles d'être attribuées à de nombreux facteurs que l’on peut mettre en relation ; l’instabilité macro-économique, la croissance économique en baisse, l’incapacité du marché du travail à répondre à toutes les demandes, la productivité faible et la faiblesse des salaires associées à un recul de la qualité des services sociaux, sont autant de facteurs qu’il faut prendre en considération.

 

Bibliographie

- Bouillon M. 2003. Social cohesion in Latin America and the Caribbean, IDB document: Inequality, exclusion and poverty in Latin America and the Caribbean: implications for the development. S.L. : S.N.

- Central Intelligence Agency (CIA). 2006. The World Factbook. S.L. : S.N.

- Country Poverty Assessment. 2003. Final Report. S.L. : S.N. Halcrow Group Limited, volume I et II, 216 p.

- Filgueira C., et al., 1995. Part II: Social policy in Latin America, 4. Social Policy in Latin America, in Social policy in a global society. Parallels and Lessons from the Canada–Latin. S.L. : Edited by Daniel Morales-Gómez and Mario Torres A.

- Honychurch L. 2004. Urban Landscaping In Dominica. Housing Estates, in www.lennoxhonychurch.com

- Lipsanen N. 2001. Naturalistic and existential realms of place in Roseau, Dominica, University of Helsinki, department of geography, Master's Thesis, Spring Term ; 8.3 Structure of other districts, 14 Districts of Roseau.

- Pan American Health Organization (PAHO). 2002. Basic country health profiles for the Americas. Saint-Lucia : S.N.

- United Nations. 2004. Population Division of the department of economic and social affairs of the United Nations Secretariat, World Urbanization Prospects: The 2003 Revision., data set in digital form.

- World Population Prospects: « The 2004 Revision Population Database », Official UN estimates (1950-2005) and projections (2005-2050). S.L. : S.N.




 

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