« Inquiétant ? Ah oui, ça fait peur... Surtout quand l'eau n'est pas très claire, on sent l'on-de de choc sur tout le corps » . Et cela dure depuis le mois de décembre...
Jean-Guy Gabriel est pêcheur, mais aussi adjoint chargé de la mer dans la commune du Prêcheur. Il plonge en apnée tous les jours pour détecter les bancs de poissons. « Toutes les 15 secondes, cela fait comme une détonation, comme de l'eau qui buterait violemment contre une falaise » .
Il s'agit donc d'un bruit nouveau, qu'aucun pêcheur ne semble avoir connu auparavant. « Effectivement, je me rappelle de l'époque où le volcan situé entre Saint-Vincent et Grenade faisait des siennes. Mais le bruit était différent » .
Dès le début, les pêcheurs ont contacté l'Observatoire volcanologique et sismologique de Martinique (OVSM) et continuent de l'informer régulièrement. « J'ai même été réveillée par des coups de téléphone de pêcheurs en pleine nuit pour me dire qu'ils étaient sortis de l'eau à cause de ça! » , raconte Valérie Clouard, la directrice de l'Observatoire. Le bruit aurait été entendu jusqu'au Carbet par les pêcheurs, et même, selon l'association Sepanmar, jusqu'aux Anses d'Arlet (voir encadré). Mais que se passe-t-il qui puisse à ce point faire sursauter des pêcheurs plongeurs chevronnés ?
Détonations régulières
Première piste : l'activité humaine. « Je sais d'où viennent ces sons » , assure un scientifique. « Des campagnes sismiques! » .
En effet, régulièrement, des bateaux scientifiques utilisent des ondes acoustiques pour cartographier le fond des mers. Ils envoient ces ondes au fond de l'eau, qui sont réfléchies et donnent ainsi une indication sur la nature des fonds et leur profondeur exacte. Plusieurs campagnes se sont succédé. La dernière, menée par un organisme américain, est en cours... La thèse « humaine » serait corroborée par le fait que, pendant la grève de février, le bruit avait disparu.
Malgré tout, elle ne semble pas tenir debout. « Impossible » , confie Valérie Clouard. « Les bruits se manifestent à toute heure du jour et de la nuit. Au mois de mai (NDLR : alors qu'aucune campagne sismique n'était menée), le son était tellement fort que nos sismomètres l'ont enregistré » . Et l'association Sepanmar, qui a effectué un long enregistrement sonore, souligne que le bruit a cessé d'être aussi régulier, ce qui démonterait aussi la thèse humaine.
Une deuxième piste est donc envisagée : l'activité tellurique, c'est-à-dire que le bruit viendrait du sous-sol marin. Depuis plusieurs mois, l'OVSM a décidé de s'impliquer pleinement dans le dossier, non seulement « parce qu'il intrigue les plongeurs de la zone » , mais aussi parce que « ce type de phénomène fugace a été peu étudié jusqu'à présent, et que nous avons donc un intérêt scientifique à ce suivi » , avoue Valérie Clouard. A quoi peut-on penser ? « Par exemple à une certaine circulation d'eau chaude, soit sous le flanc sous-marin de la Montagne Pelée, soit entre la Dominique et la Martinique » , explique la directrice. « Les accumulations entraîneraient alors des sorties brutales de gaz et d'eau chaude » , poursuit-elle. Au sud de la Dominique, par exemple, il existe un lieu, appelé avec justesse « Champagne » , où l'activité volcanique crée des milliers de bulles qui sortent du fond de l'eau. Mais l'OVSM ne peut pas s'avancer actuellement sur la nature exacte du phénomène que la Martinique connaît. Le laboratoire Géosciences Azur, de Nice, a équipé un sismomètre de fond de mer avec un hydraphone, afin de pouvoir enregistrer ces étranges monologues marins. L'hydraphone a été mis à l'eau le 20 juin dernier, entre le Prêcheur et Saint-Pierre. Il faudra attendre le mois de novembre pour qu'il donne sa version des faits.
Les détonations livreront peut-être alors leur secret.
Environnement - INFO +
Le son ferait fuir les baleines
Lors de huitième campagne Pelagos 972, l'association Sepanmar (Société pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature à la Martinique), du 18 au 31 mai 2009, a enregistré le bruit mystérieux.
Il était alors « caractérisé par une basse fréquence de 350 hertz » et une intensité de 50 décibels, avec « des détonations périodiques toutes les 18 à 42 secondes » et il se serait « propagé sur toute la côte Caraïbe » , selon l'association.
Le maximum d'intensité aurait été enregistré du côté de la Perle, au Prêcheur, et s'entendait jusqu'aux Anses d'Arlet.
La campagne Pelagos, menée deux fois par an, vise à dénombrer le nombre de cétacés qui fréquentent les eaux territoriales martiniquaises.
Or, cette année, « les espèces côtières régulières (dauphins tachetés, dauphins fraser et grand dauphin) n'ont pas été observées durant la mission, contrairement aux autres années » .
Les seules espèces vues sont celles « des grandes profondeurs » : cachalots, baleines à bec de Cuvier et globicéphales tropicaux.
« L'hypothèse d'un bruit perturbant les activités des cétacés » n'est pas à écarter selon l'association.