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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 15:45

Martinique et Guadeloupe :

des écosystèmes côtiers en sursis

 

Pascal SAFFACHE, Didier MOULLET

Université des Antilles et de la Guyane, Faculté campus de Schœlcher, département de géographie-aménagement, BP 7207, 97275 Schœlcher Cedex, Martinique (FWI)

 

 

Résumé

Les écosystèmes côtiers des Antilles françaises sont particulièrement fragiles, en raison de contraintes naturelles et anthropiques. Les contraintes anthropiques résultent essentiellement des carences des politiques de planification urbaine et d’aménagement et de la non prise en compte par les populations des impacts qu’elles peuvent infliger au milieu.

A l’avenir, une bonne gestion de ces espaces impliquera une redéfinition de ces politiques,  une gestion globale et raisonnée de ces espaces et une éducation populaire réaffirmée.

 

Mots clés : Antilles françaises, littoral, écosystèmes côtiers, dégradations.

 

 

Introduction

De forme arquée, l’archipel des Petites Antilles se compose deux Départements français d’Outre Mer (DOM) : l’archipel guadeloupéen et l’île de la Martinique. La Martinique se localise à 14,4° N et 61° W, tandis que la Guadeloupe, plus au nord, se situe à 16,3° N et 61,3° W.

L’archipel guadeloupéen se compose de deux îles principales (la Grande-terre et la Basse-Terre), d’origine volcanique, entourée par cinq dépendances : Marie Galante (158 km2), la Désirade (20 km2), les Saintes (13 km2) et deux autres îles situées à 250 km plus au nord : Saint-Barthélemy (21 km2) et la partie nord de l’île de Saint-Martin (50 km2). La Guadeloupe est donc un espace archipélagique d’une superficie de 1900 km2 environ, alors que la Martinique représente une entité volcanique homogène de 1100 km².

Les Antilles françaises sont des espaces originaux marqués par une hypertrophie de leur secteur tertiaire, une urbanisation et une démographie galopantes, le tout étant associé à des nuisances liées à l’inefficience des politiques de planification et plus généralement d’aménagement. Sur le plan économique, les cultures d’exportation (canne à sucre et bananes) sont avec le tourisme les principales richesses économiques de ces deux îles. Ce contexte économique peu reluisant sert néanmoins de cadre à de nombreuses atteintes environnementales, dont les incidences sur les écosystèmes sont de plus en plus durables.

Pour prendre la mesure de ces atteintes, les écosystèmes littoraux et marins des Antilles françaises seront présentés de façon synoptique, l’ensemble des facteurs naturels et anthropiques qui affectent ces milieux le seront eux aussi et des propositions concrètes de sauvegarde seront proposées.

 

 

I. Les écosystèmes côtiers des Antilles françaises : des milieux variés mais fragiles

Aux Antilles françaises, trois écosystèmes côtiers peuvent être distingués : les mangroves, les herbiers de phanérogames et les récifs coralliens.

Les mangroves se développent essentiellement aux embouchures des rivières et plus généralement dans les fonds des baies. En Guadeloupe, par exemple, elles occupent une superficie moyenne de 3000 ha (Chauvaud, 1997), alors qu’en Martinique elles ne couvrent plus que 1278 ha en raison des nombreuses pressions subies. A titre d’information, la mangrove martiniquaise a vu sa superficie régresser de près de 30 % en 20 ans (SIEE, 1998) ; c’est ce qui explique que la mangrove de la baie de Fort-de-France ne couvre plus que 680 ha contre plus de 2300 ha dans le Grand-Cul-de-Sac Marin en Guadeloupe (Chauvaud, 1997) .

Cet écosystème se compose principalement d’un front pionnier de Rhizophora mangle (palétuviers rouges), ceinturés par des Avicennia germinans et des Avicennia schaueriana (palétuviers blancs et noirs), bordés eux mêmes par une association de mangles blancs et gris (Laguncularia racemosa et Conocarpus erectus).

Les mangroves étant des espaces répulsifs, durant de nombreuses années elles ne furent exploitées  que par des populations marginales qui n’en extrayaient que leur minimum vital. Quand la pression démographique s’est accrue, mais surtout quand ces populations prirent conscience des profits qu’elles pourraient tirer de la vente des produits de la mangrove (charbon de bois, crustacés, miel, etc.), des prélèvements importants furent réalisés et les racines des palétuviers qui formaient jadis un véritable labyrinthe furent coupées pour y récolter les huîtres qui y étaient fixées. Les racines ne jouant plus leur rôle protecteur, le pourcentage d’alvins et de petits crustacés diminua ; parallèlement, la capacité naturelle de régénération de ces milieux fut dépassée et un déséquilibre durable s’installa.

Ce déséquilibre s’est encore accentué, lors de la mise en valeur des zones côtières : extension des zones urbaines, des stations balnéaires, des marinas, etc. La capacité naturelle d’épuration des mangroves étant largement dépassée, pour la plupart elles sont maintenant en phase de régression, d’où leur aspect relictuel aux Saintes, à la Désirade, dans le cul-de-sac du Marin, et dans les baies de Fort-de-France et de Tartane.

 

Côté mer, à proximité des mangroves, se développent généralement des herbiers de phanérogames marines, synonymes d’une bonne qualité sanitaire du milieu. Ils se concentrent principalement dans le Grand Cul-de-Sac Marin (Guadeloupe), où ils occupent plus de 8 000 hectares, et s’étendent aussi sur la côte orientale de la Basse-Terre où ils couvrent plus de 1300 hectares (Chauvaud, 1997). En Martinique, cet écosystème occupe une place importante (3000 ha environ), puisqu’on le retrouve dans la plupart dans les baie en couverture homogène ou discontinue ; cependant, en raison des nombreux défrichements réalisés sur les bassins-versants sommitaux (mitage des espaces naturels) et suite à l’augmentation de la pollution urbaine (absence de tout à l’égout, de stations d’épuration ou de fosses septiques), cet écosystème est aujourd’hui fossilisé ou nécrosé (Chauvaud, 1997). Les deux principales espèces encore présentes sont les Thalassia testudinum (entre 0 et - 10 m) et les Syringodium filiforme (de - 10 à - 30 m) en concurrence de plus en plus importante avec les algues de type Sargassum et Turbinaria, synonymes de forte eutrophisation du milieu.

 

Plus au large, apparaissent des récifs coralliens qu’il est possible de scinder en deux catégories : les récifs frangeants et barrières. Quelles que soient leurs caractéristiques, une faune nombreuse et variée leur est inféodée : 570 espèces de mollusques (Pointier et al., 1990), une soixantaine d’espèces de crustacés (Bourgeois-Lebel, 1982) 200 espèces de poissons (Bouchon-Navarro et al., 1997) et cinq espèces de tortues (Fretey, 1990) dont deux sont fréquemment observées dans les lagons guadeloupéens. Cette distribution est moindre au niveau des formations récifales martiniquaises où ont été recensées près de 370 espèces de mollusques (Lamy et al., 1984), 143 espèces de poissons (Bouchon-Navarro et al., 1997) et trois espèces de tortues de plus en plus menacées (Fretey, 1990).

Ces caractéristiques faunistiques évoluent toutefois rapidement, car en raison des pollutions urbaines (pour ne prendre que deux exemples, en 1991, sur une vingtaine de stations d’épuration moins d’une dizaine traitaient convenablement les effluents guadeloupéens ; à la même période, les communes localisées autour de la baie de Fort-de-France disposaient uniquement de 9 stations d’épuration), des rejets des distilleries et des sucreries (DRIRE, 1994), ainsi qu’en raison de l’importance des pollutions liées aux hydrocarbures et aux métaux lourds (DRIRE, 1994), les récifs frangeants sont de plus en plus nécrosés et la faune qui leur est associée dépérit ou migre vers des secteurs moins pollués.

Parallèlement, de par leur rareté ou en raison de la qualité de leur chair, certains mollusques (Stombus Giga), crustacés (Panulirus argus) ou même certains échinodermes (Tripneustes esculentus), voient leur population régresser en raison des pressions exercées par les pêcheurs et les plongeurs occasionnels. Les activités touristiques sont également néfastes pour ces écosystèmes, notamment la plaisance qui exerce de nombreuses pressions sur les coraux et les herbiers.

 

En définitive, bien que les conditions du milieu soient favorables à la biodiversité et bien que les biotopes soient diversifiés, il appert que ce sont les facteurs naturels et anthropiques qui perturbent et dégradent durablement le fonctionnement naturel des écosystèmes.

 

 

II. Influences des facteurs naturels et anthropiques

II.1 Les pressions naturelles

Les Antilles françaises sont régulièrement concernées par des phénomènes météorologiques paroxysmiques, puisqu’un météore les affecte en moyenne une fois par décennie. L’ouragan Hugo, par exemple, traversa la Guadeloupe en 1989, alors que la Martinique fut directement concernée en 1979 et 1981 par les cyclones David et Allen et en 1993 par la tempête tropicale Cindy. Ces manifestations paroxysmiques se caractérisent par une forte dégradation des écosystèmes côtiers, dont les facteurs constituants sont arrachés et arasés. Les fortes précipitations qui accompagnent le passage des ouragans se traduisent aussi par une chute de la salinité de l’eau de mer (phénomène de dessalure), relayée par une arrivée massive d’eau douce riches en sédiments terrigènes à l’origine de l’asphyxie des platures coralliennes.

Les herbiers de phanérogames qui ne disposent pas d’un développement racinaire important (Syringodium filiforme) sont extrêmement vulnérables, car mobilisables par les houles cycloniques.

Ces phénomènes paroxysmiques ont aussi des effets néfastes sur les mangroves, en raison de l’élévation du niveau de la mer (surcote marine) et de la force dévastatrice des houles. Les surcotes entraînent une disparition des substrats vaseux par ennoiement, la mort programmée des espaces végétales par sursalure et l’arrachage des populations les plus fragiles. Lors du passage de l’ouragan Hugo (Guadeloupe), les houles mirent en suspension des quantités si importantes de vase, qu’elles entraînèrent une chute du taux d’oxygène de l’eau de mer et une augmentation de la mortalité des principales espèces halieutiques.   

 

D’autres facteurs moins violents ont pour effet de fragiliser durablement les récifs coralliens. A titre d’exemple, une mortalité importante des oursins diadèmes (Diadema antillarum) au début des années 1980 entraîna une prolifération d’algues qui recouvrirent puis étouffèrent les platures coralliennes. Ces phénomènes naturels perturbent durablement la croissance et l’équilibre des coraux.

Ces phénomènes contribuent fortement à la dégradation des écosystèmes côtiers antillais et sont relayés par des facteurs anthropiques bien plus nombreux. 

 

II.2 Les pressions anthropiques

II.2.1 La pollution agricole

La pollution agricole résulte prioritairement d’une utilisation excessive de produits phytosanitaires. En Martinique, par exemple, ce sont chaque année près de 2000 tonnes d’insecticides, de pesticides et de fongicides (Direction de l’Agriculture et de la Forêt, 1994) et plusieurs milliers de tonnes d’engrais qui sont utilisées. Bien qu’aucune étude n’ait quantifié l’impact de ces produits sur l’environnement sous-marin et particulièrement sur les platures coralliennes, tout porte à croire que les pluies tropicales qui lessivent les sols agricoles, transportent des particules toxiques (en direction des baies) qui se déposent dans les sédiments marins et se fixent dans les tissus de la faune sous-marine. Des mesures effectuées dans la baie de Fort-De-France (Pellerin-Massicotte, 1991) soulignent les fortes teneurs en pesticides retrouvées dans les huîtres, par exemple. Les produits incriminés sont le DDT et le PCB dont les doses mesurées dépassent largement les seuils de toxicité couramment admis.

En Guadeloupe, bien qu’on utilise moins de produits phytosanitaires qu’en Martinique [environ 900 tonnes par an (DAF, 1991)], les sels minéraux libérés par ces produits s’accumulent dans les baies et favorisent la prolifération d’algues filamenteuses qui recouvrent les platures coralliennes et les étouffent progressivement : l’eutrophisation du milieu est en cours ; les coraux disparaissent alors graduellement. A cette pollution chimique, particulièrement nocive et sournoise, s’en ajoute une autre tout aussi destructrice : l’hyper sédimentation.

 

II.2.2 L’hyper sédimentation des baies

La baie de Fort-De-France (la plus grande baie de la Martinique) sert d’exutoire aux rivières qui drainent le centre de l’île. Après avoir traversé les domaines agricoles (bananeraies, champs de cannes à sucre, etc.) des communes de Saint-Joseph, de Ducos, du Lamentin ou encore de Rivière Salée, ces rivières, gorgées de sédiments terrigènes, se jettent dans la baie où elles déposent leur impressionnante charge sédimentaire. D’après des mesures effectuées par la Direction Départementale de l’Equipement (1984), la rivière Lézarde déposerait, en moyenne, chaque année 100000 m3 de sédiments dans la baie de Fort-De-France, alors que les rivières Monsieur et Salée en déposeraient respectivement 45000 m3 et 90000 m3. L’ensemble des rivières qui alimentent la baie de Fort-De-France fourniraient ainsi, chaque année, 550000 m3 de sédiments. Au rythme actuel de l’envasement, les fonds marins se dépeuplent et les rares platures coralliennes encore présentes sont progressivement recouvertes par une véritable chape sédimentaire. Cette situation est d’autant plus alarmante que la baie de Fort-De-France était considérée comme l’un des plus beaux sanctuaires coralliens.

En Guadeloupe aussi, l’hyper sédimentation des baies et des culs-de-sac est à l’origine de dégradations irréversibles. La déforestation massive des versants, organisée dès le milieu du XVIIe siècle à des fins agricoles, et la destruction progressive des mangroves littorales qui filtraient et retenaient les sédiments terrigènes, ont entraîné l’arrivée massive de sédiments qui en réduisant le niveau d’éclairement sous-marin et en colmatant les platures coralliennes ont favorisé leur disparition.

Si l’agriculture moderne est en partie responsable de la disparition des colonies coralliennes, les nombreux travaux côtiers réalisés ces dernières années en Martinique (extensions du port de Fort-De-France et de l’aéroport, constructions de routes littorales, etc.) et en Guadeloupe (port de Saint-François, marina de Pointe-à-Pitre, zone industrielle de Jarry, etc.) ont favorisé une augmentation de la turbidité des eaux côtières et par conséquent ont accru l’hyper sédimentation.

 

II.2.3 La pollution industrielle

Dès la fin du XVIIe siècle, la Martinique et de la Guadeloupe se sont spécialisées dans la production de sucre et de rhum. Si ces activités ont joué un rôle historique et social incontestable, force est de constater qu’elles ont eu et ont encore des incidences nocives sur l’environnement. A titre d’exemple, les vinasses (résidus liquides de distillation du rhum, très acides et riches en matières organiques) sont rejetées dans les rivières et dans les baies sans traitement préalable, ce qui entraîne une chute de la teneur en oxygène de ces milieux et par extension une asphyxie de la faune et de la flore. En Martinique, si aucune étude n’a été diligentée pour apprécier le phénomène, en Guadeloupe, la distillerie de « Bonne Mère », par exemple, rejetterait en moyenne, chaque année, 3000 tonnes de vinasses. D’après la Direction Régionale de l’Industrie et de la Recherche (DRIRE-Guadeloupe), les rejets annuels de vinasses des distilleries guadeloupéennes, équivaudraient (en pollution organique) aux rejets d’eaux usées domestiques non traitées de 180000 habitants. On comprend dès lors, la forte mortalité des coraux, l’aspect particulièrement nécrosé de ceux qui survivent et les dangers que cette pollution représente pour les mangroves ou encore les herbiers de phanérogames.

 

Les hydrocarbures participent aussi à l’appauvrissement des fonds marins et des écosystèmes littoraux. La Martinique possède une raffinerie dont la capacité de traitement annuel est de 800000 tonnes de pétrole brut. En dépit des mesures drastiques imposées pour lutter contre la pollution, des carottages effectués dans la baie de Fort-de-France ont révélé de fortes teneurs en hydrocarbures d’origine pétrolière (Mille et al., 1991).

En Guadeloupe, dans le Petit Cul-de-Sac Marin, la centrale thermique EDF de Jarry Sud était à l’origine d’une telle pollution en hydrocarbures, qu’elle a du être fermée à la fin de l’année 1999. D’après la DRIRE-Guadeloupe, la production annuelle de déchets industriels avoisinerait 5000 tonnes par an et serait constituée à près de 90 % de déchets d’hydrocarbures. Quand on sait qu’il n’existe actuellement aucune usine permettant de traiter ou de recycler ce type de déchets, les pollutions semblent inévitables.

Des mesures réalisées dans la baie de Fort-De-France (Martinique) et dans le Grand Cul-de-Sac Marin (Guadeloupe) ont révélé des teneurs en zinc, cuivre, plomb, cadnium, vanadium, nickel, cobalt à des taux supérieurs aux seuils de toxicité généralement admis pour la faune et la flore sous-marines. Si les peintures antifouling utilisées pour protéger les coques des navires pourraient expliquer les fortes teneurs en zinc et en cuivre, tout porte à croire que les autres métaux lourds pourraient provenir des huiles de vidanges, des effluents urbains ou du nettoyage du matériel industriel utilisé à proximité des baies et des culs-de sac.

 

En réalité, quelle que soit l’origine de la pollution industrielle, les conséquences sont les mêmes : diminution de la ressource halieutique, augmentation du taux de mortalité des coraux et désertification progressive des fonds marins.

 

II.2.4 La pollution urbaine

Bien que moins médiatique, la pollution urbaine est tout aussi nocive. En Martinique, cette pollution résulte d’un réseau de collecte des eaux usées insuffisant. A titre d’exemple, les cinq communes qui enserrent la baie de Fort-de-France totalisent plus de 170000 habitants, alors que les dix stations d’épuration actuellement en service sont prévues pour un peu plus de 130000 habitants. Certains quartiers ne sont donc pas raccordés au réseau de collecte des eaux usées et de nombreuses maisons individuelles ne disposent pas de fosses septiques ; des effluents usagés sont donc déversés dans les rivières via la baie de Fort-de-France. Ces eaux polluées favorisent la prolifération d’algues filamenteuses qui étouffent progressivement les coraux. A cela s’ajoute l’influence de la décharge communale de la Trompeuse (Fort-de-France), située en bordure littorale, dont les lixiviats alimentent régulièrement la baie en produits toxiques (métaux lourds, etc.) ; c’est également le cas pour la décharge de Céron (Sainte-Luce) où les eaux de lixiviation se déversent directement dans la mangrove (planche I et II).

En Guadeloupe, la situation est tout aussi alarmante puisque la décharge de la Gabarre, la plus grande de l’île, évacue quotidiennement ses lixiviats dans la rivière Salée via le Grand Cul-de-Sac Marin. Si ce phénomène est connu, notons que de nombreuses décharges sauvages situées en bordure côtière ou le long de ravines alimentent quotidiennement les baies en métaux lourds, en matières organiques et en divers autres polluants.

La pollution urbaine résulte aussi du faible nombre de stations d’épuration efficientes. Au début des années 1990, sur 20 stations d’épuration en service en Guadeloupe, seule une dizaine traitait convenablement les eaux usées.

La dispersion de l’habitat est aussi une cause majeure de pollution, puisque de nombreux  riverains ne s’équipent pas de fosses septiques ou disposent de fosses inadaptées donc inefficaces.

 

Face à ce constat, des solutions durables devraient être proposées.

 

 

III. Vers la mise en place de propositions concrètes

S’il est vrai que la dégradation des écosystèmes côtiers est importante aux Antilles françaises, cela résulte de politiques de planification urbaine et d’une gestion environnementale inadaptées. Pour réduire l’hyper-sédimentation et la pollution, il ne faut plus se contenter de n’intervenir qu’en aval, comme cela a été pratiqué durant de nombreuses années. En réalité, s’il y a envasement en aval, c’est qu’il y a érosion en amont ; il faut donc tout mettre en œuvre pour limiter l’érosion des versants, ce qui induira, à terme, une réduction des transports sédimentaires et parallèlement une diminution du ruissellement des eaux pluviales chargées en engrais, en pesticides, etc. L’une des actions prioritaires pourrait être de reboiser les surfaces dénudées, de façon à les stabiliser ; une meilleure surveillance des défrichements et des industries installées en bordure côtière semble aussi s’imposer. Les contrevenants pourraient alors faire l’objet d’amendes suffisamment élevées pour être dissuasives.

De plus, les industriels devraient se conformer rapidement à la législation sur l’eau (loi n° 92-3 du 3 janvier 1992) qui leur impose de récupérer et de traiter les effluents qu’ils produisent. Les industries cannières pourraient, par exemple, fournir des efforts dans le but de valoriser les vinasses et plus généralement tous les effluents liquides et les gaz ; des installations de traitement existent, mais demeurent très coûteuses, aussi des partenariats devraient être trouvés de façon à faciliter la mise en place de ces unités de traitement et de valorisation. Il ne faut pas perdre de vue que l’industrie cannière à des incidences nocives et durables sur les écosystèmes côtiers comme en témoigne la pollution de la Grande Rivière à Goyaves (Guadeloupe). 

Les industries sucrières ont l’avantage de pouvoir recycler certains de leurs rejets comme la bagasse, par exemple. L’usine de bagasse-charbon du Moule (Guadeloupe), s’est orientée  dans cette direction en valorisant sa bagasse qui lui sert de vraie source d’énergie renouvelable. Cette production d’énergie à partir de la biomasse pourrait également être réintégrée sous forme de combustible dans le cycle de production cannière.  Il en est de même des vinasses qui, après traitement, permettent d’obtenir des engrais de bonne qualité. Ces actions en faveur de l’environnement permettraient de rentrer de plein pied dans une démarche de  développement durable.

 

La gestion des pollutions urbaines devrait aussi s’inscrire dans le cadre d’une politique de planification plus efficace. A titre d’exemple, l’assainissement des eaux usées et des eaux pluviales présente de nombreuses lacunes qu’il serait souhaitable de résoudre rapidement. Les administrés des communes des Antilles françaises sont rarement raccordés au tout à l’égout se qui les conduit à mettre en place des systèmes de traitement individuel (fosse septique) peu efficients. Les administrés qui ne disposent d’aucun système de traitement sont nombreux et se voient dans l’obligation de rejeter leurs effluents directement dans le milieu naturel, via les cours d’eau. La mise en place de mini station d’épuration pourrait permettre de répondre à ce problème, notamment en zone rurale où l’absence de système épuratoire est fréquent du fait de l’éloignement de l’habitat. Il convient donc d’optimiser les rendements de ce système épuratoire afin de ne pas se retrouver dans une situation similaire à celle de l’île de Marie-Galante (dépendance de la Guadeloupe) où ces rendements étaient particulièrement médiocres.

Des solutions doivent également être trouvées pour la mise en conformité des décharges à ciel ouvert comme celle du Céron et de la Trompeuse en Martinique ou encore celles de Grand Camp de Goyave en Guadeloupe. La loi européenne du 12 juillet 1992, interdit la mise en décharge des déchets bruts au-delà du 1er juillet 2002, et la nouvelle politique d’aménagement de ces îles doit permettre de s’aligner sur cette voie. Il n’y a pas de solutions miracles à ce jour et il convient de traiter ces déchets à la source en intégrant les administrés à cette démarche ; cela semble simple à dire, mais il s’agit d’une nécessité.

Une gestion domestique pourrait aussi s’avérer efficace avec le développement du compost individuel pour les déchets organiques et les déchets verts ; un centre de compostage pourrait venir s’ajouter à ce mode de gestion afin de compléter le cycle. Pour ce qui est des matières recyclables (verre, plastique, carton, etc.) la sélection doit se fait à la source afin d’être acheminée vers un centre de récupération ; le développement de centre de tri pourrait aussi être une démarche intéressante dans le cas ou l’administré n’aurait pas la possibilité de réaliser cette sélection à son niveau.

Sans l’adhésion parfaite des administrés, cette solution n’aurait qu’un effet superficiel et la gestion des déchets ne serait qu’inefficace. Des déchets tels que les encombrants doivent également faire l’objet d’un tri ; à défaut de pouvoir recycler ces déchets sur place, un compactage s’avérera nécessaire.

L’objectif de cette politique d’aménagement est bien d’éradiquer les décharges à ciel ouvert, de s’aligner sur les directives européennes et en définitive de diminuer les eaux de lixiviation particulièrement néfastes pour l’environnement.

 

Toutes ces solutions devraient être appliquées rapidement, car l’augmentation de la teneur en gaz carbonique dans l’atmosphère, entraînera une diminution de la teneur en aragonite dans l’eau de mer, ce qui réduira le taux de calcification des coraux et fragilisera durablement leur structure. A terme, les coraux devraient être moins résistants et par conséquent beaucoup plus vulnérables face aux assauts des houles cycloniques et aux maladies d’origine bactérienne. La protection des mangroves est également une nécessitée et cela pourrait se faire par la définition d’aires protégées dans un but de conservation. 

 

 

Conclusion

Face à l’ampleur des dégradations, il importe d’agir rapidement en trouvant une adéquation entre les politiques de développement et la protection des écosystèmes  littoraux et marins. Les dégradations observées résultant de processus globaux, seule une démarche consensuelle pourrait permettre à terme de protéger le milieu. La coopération intercommunale pourrait être le fer de lance de cette démarche, car elle permettrait de définir une politique d’aménagement solidaire entre les communes.

L’élaboration de nouveaux outils d’aménagement devrait également passer par une meilleure connaissance des ensembles écosystémiques ; c’est d’ailleurs dans cette optique que les politiques doivent obligatoirement faire appel à des chercheurs confirmés, dans le but de contribuer à une meilleure connaissance des biotopes littoraux et marins.

 

 

Bibliographie

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- SIEE, 1998. Synthèse de la qualité des eaux et des milieux aquatiques de la Martinique. S.L. : S.N., rapport DIREN, 118 p.

Cela résulte des fortes précipitations cycloniques.

Fines particules de terre.

Dichloro-diphényl-trichlorétane : insecticide très toxique dont l’usage est prohibé en France et en Europe depuis plusieurs années.

Polychlorobiphényle : composé chimique dont la décomposition produit des furannes et des dioxines.

C’est la plus longue rivière de l’île de la Martinique (33, 4 km).

Une quinzaine environ.

Variété de carbonate de calcium participant à l’élaboration des squelettes coralliens.

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  • : Kaloukaera French West Indies
  • : Ce blog est créé depuis le début de la grève du 5 février 2009 en Martinique et je n’ai rien d’autres à faire que de mettre en ligne des informations diverses ! Vous y trouverez de tout, de l’actualité concernant les départements français d’Amérique et bien d’autres choses !
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