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10 mars 2009 2 10 /03 /mars /2009 13:31

Impacts des activités agricoles sur le littoral guyanais

 

 Anne-Laure TRANSLER, Pascal SAFFACHE, Didier MOULLET

 

Introduction

L’agriculture est l’une des activités qui perturbe le plus les écosystèmes littoraux guyanais. De l’époque coloniale (où la France équinoxiale  exportait ses produits vers la métropole) à nos jours, les impacts de cette activité n’ont cessé de s’intensifier et de se diversifier.

Si de nombreuses parcelles agricoles littorales ont été attribuées par l’Etat, nombreuses sont celles qui sont occupées illégalement aujourd’hui et qui ne sont pas toujours répertoriées. En réalité, quelles que soient leurs modalités d’obtention, ces parcelles sont à l’origine de dégradations environnementales majeures. Ces aspects seront donc présentés et analysés en vue de trouver des solutions durables.

 

I. De l’époque coloniale à nos jours : croissance et diversification de l’activité agricole

Au XVIIe siècle, l’appropriation du territoire guyanais par les français se caractérisa par l’apparition de fronts pionniers situés le long de la frange côtière. Cette intrusion obligea les populations amérindiennes - évaluées à 30 000 âmes environ (Barret G., 2002) - à se replier dans des contrées éloignées. Ces populations entretenaient des rapports symbiotiques avec leur milieu, car leurs prélèvements ne dépassaient jamais la capacité naturelle de régénération des écosystèmes ; la chasse, la pêche et la cueillette constituaient alors leur principale source de subsistance. C’est l’arrivée des premiers colons qui perturba ce système.

 

La période esclavagiste (du début du XVIIe siècle à l’année 1848) fut marquée par l’émergence de nombreuses plantations. Les populations amérindiennes bénéficiant de la protection du pouvoir royal, des esclaves africains furent acheminés sur place pour cultiver le  cacao, le café, les clous de girofle, le roucou, le coton, mais surtout pour produire du sucre. Si ces exploitations n’utilisaient pas encore d’intrants chimiques, les premiers impacts observables furent une anthropisation générale de la frange côtière et un morcellement des espaces naturels. De 1830 à 1840, l’activité agricole littorale atteint son paroxysme, puisque selon l’Almanach de la Guyane française, l’exportation de cacao s’élevait à 52 tonnes en 1831, contre 23 tonnes en 1847.

 

En 1848, l’abolition de l’esclavage contribua à l’émergence d’une nouvelle société. L’artificialisation brutale du milieu se fit parallèlement à la découverte de l’or, qui incita les populations à se focaliser beaucoup plus sur les gisements que sur les productions agricoles. Quelques décennies plus tard, la fièvre de l’or s’estompant (elle se déplaça vers l’intérieur des terres), l’activité agricole côtière reprit progressivement (début XXe siècle) à la faveur d’une vague d’immigration importante.

Aujourd’hui, l’activité agricole littorale est plurielle, car elle se scinde en deux types d’activités : une agriculture traditionnelle, basée sur l’autoconsommation et caractérisée par la petitesse des parcelles d’exploitations, et une agriculture moderne, constituée essentiellement de fermes rizicoles, d’exploitations d’agrumes et de vastes surfaces d’élevage, dont les productions sont vouées à l’exportation. Entre ces deux types d’exploitations, subsistent des fermes de taille moyenne qui n’alimentent que les marchés locaux.

En définitive, quelles que soient leurs tailles, leurs modes de production et leurs modalités d’écoulement des produits, ces exploitations ont des incidences durables sur le milieu.


II. Des impacts environnementaux d’intensité variable

Le recensement agricole de 2000, indique que la SAU guyanaise totalise 23176 hectares (figure1) et compte 5318 exploitations, soit une augmentation d’un cinquième par rapport au recensement précédent (1989). La Guyane est donc le seul département français à bénéficier d’une augmentation du nombre de ses exploitations.

En 1976, la tentative d’application du Plan Vert  ne permit pas d’organiser véritablement la sphère agricole ; les exploitations se répartissent donc essentiellement le long du littoral où leurs activités sont très diversifiées. La diversité se lit également à travers les deux grands types d’agriculture pratiquée : traditionnelle et moderne. Si la taille moyenne des exploitations (4,4 ha) tend à diminuer, c’est parce que le nombre d’abattis (exploitations traditionnelles inférieures à 2 ha) augmente considérablement. Ils totalisent 13 % de la SAU et regroupent 56 % des exploitations, alors que les grandes exploitations modernes sont peu nombreuses (3 % environ), mais occupent 57 % de la SAU. Ces deux types d’agriculture évoluent distinctement et ont donc des impacts différents sur le milieu.

 

L’agriculture itinérante traditionnelle (abattis) est inquiétante, car elle croit à un rythme quasi géométrique.  En réalité, les abattis augmentent aussi vite que se développe la population « du Fleuve », dont la croissance a été évaluée à 44 % au cours de la dernière décennie. Cela se traduit par des défrichements (nettoyage du sous-bois, abattage des arbres et utilisation du brûlis) qui constituent autant de facteurs de dégradation. Les surfaces forestières déboisées, cultivées, puis abandonnées après 3 à 4 années d’exploitation, se transforment progressivement en des savanes anthropisées qui, sous l’influence de l’énergie cinétique des gouttes de pluie, libèrent de gros volumes sédimentaires en direction des fleuves et du milieu marin. Le substratum pédologique – censé supporter les cortèges floristiques – est d’autant plus fragile, que le passage répété du feu se traduit par une chute de sa fertilité, son assèchement et en définitive une dégradation de sa couche humifère arable.

L’agriculture moderne à aussi des incidences sur le milieu. L’utilisation d’engins inadaptés accélère les processus d’érosion et à cela s’ajoute l’utilisation de produits phytosanitaires, susceptibles d’engendrer des pollutions chroniques. En accord avec la Direction de l’Agriculture et de la Forêt, une enquête relative aux importations d’intrants chimiques a été réalisée par les douanes en 1997 et en 1998. Cette dernière a démontré que les importations augmentaient proportionnellement au développement des exploitations agricoles modernes : 4301 tonnes d’engrais furent importées en 1997, contre 5428 tonnes en 1998 ; 870 tonnes de produits phytosanitaires furent importées en 1997 contre 1044 en 1998. Ainsi, des engrais azotés, phosphatés et potassiques se répandent et se diffusent dans les sols guyanais, dans les fleuves et sont de ce fait susceptibles de contaminer les zones côtières.

 

A ces dégradations majeures s’ajoutent des dégradations moins visibles. L’agriculture est considérée aussi comme un facteur important de transformation des biocénoses, par le biais de la sélection d’espèces plus productives. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé l’opération ECEREX qui avait pour objectif d’étudier l’impact de la transformation de la forêt. Les conclusions indiquent qu’après modifications, les écosystèmes ne retrouvent ni leur structure, ni leur dynamique originelle.

 

Face à cette situation, de nombreux organismes réfléchissent à la mise en place d’outils de gestion visant à pallier les conséquences des activités agricoles.

 

III. Quelques solutions pour une agriculture durable

Face aux impacts environnementaux des activités agricoles, de nombreuses études ont été réalisées. Selon l’INRA, il demeure nécessaire de reconsidérer les concepts de production agricole, pour comprendre le fonctionnement des agroécosystèmes et pouvoir leur appliquer des moyens de gestion adaptés. Il est, en effet, possible d’affirmer que toutes les formes d’agriculture observables sur le littoral guyanais ne conviennent pas au milieu forestier. Toutefois, la culture sur brûlis et l’arboriculture traditionnelle - qui occupent largement la frange côtière - restent les deux seules pratiques susceptibles de perdurer, dans la mesure où elles répondent aux besoins des communautés indigènes. Toutefois, il convient de juguler leur grignotage spatial aléatoire et de restreindre leur utilisation de produits phytosanitaires (pour les cultures vivrières) par l’emploi d’une véritable jachère.

Pour accompagner ces politiques, l’INRA vient de mettre en place deux programmes de recherche (dont le programme ECOGER) qui ont pour objectifs de produire des connaissances relatives aux écosystèmes cultivés. Pour cela, l’interrogation majeure porte sur la dynamique de la biodiversité, sa conservation et sa valorisation. Le programme « Agriculture et Développement durable » quant à lui, s’oriente vers la conception de systèmes de production et de gestion des ressources des espaces ruraux. Les interactions entre les processus sociaux-économiques, techniques et écologiques demeurent l’axe principal d’étude.

 

Pour bénéficier d’une gestion adaptée et pertinente de l’espace littoral guyanais, des outils issus de la recherche sont employés. Par exemple, la télédétection devient indispensable pour apprécier l’évolution de la déforestation ; c’est d’ailleurs ce que pratique le laboratoire régional de télédétection de l’IRD Guyane. L’objectif principal est de développer des méthodes visant une observation du système amazonien, dans le but d’acquérir les données de bases indispensables au développement et à l’aménagement du territoire. Si la télédétection est considérée comme un indicateur adapté aux phénomènes observables, elle se heurte par contre aux propriétés atmosphériques des milieux tropicaux : une nébulosité marquée.

Les premiers résultats sont encourageants, puisqu’ils ont permis de se rendre compte que la déforestation est importante (surtout si on se projette dans les années à venir avec l’accroissement de la population), mais pas encore irréversible, dans le sens où le couvert forestier représente encore plus de 90 % de la surface du territoire guyanais. Cet exemple permet de constater que la Guyane n’est point démunie face aux activités agricoles qui occupent sa frange côtière.

 

Conclusion

En définitive, bien que les exploitations agricoles qui occupent le littoral guyanais ne cessent de croître, elles sont très étudiées et de nombreuses préconisations existent pour juguler leur expansion et leurs incidences les plus nocives.

Les nouvelles technologies laissent entrevoir un avenir meilleur pour la protection et l’aménagement des surfaces culturales côtières, en adéquation avec l’équilibre écosystémique du milieu, la production agricole originelle et plus généralement le développement durable.

 

Bibliographie

- SEPANGUY, CCEE. 1994. Acte du IIe congrès régional de l'environnement Forêt Guyanaise, Gestion de l'écosystème forestier et aménagement de l'espace régional. S.L. :  collection nature guyanaise, 244 p.

 - Sarrailh J. M. 1990. L’opération ECEREX : étude sur la mise en valeur de l’écosystème forestier guyanais après déboisement. Bois et Forêts des Tropiques, n° 219, Nogent-sur-Marne, CTFT / CIRAD, 27 p.

- Sarrailh J. M. 1991. L'évolution du milieu après déforestation : bilan de 14 années de recherche en Guyane française. Bois et forêts des Tropiques, n° 219, Nogent-sur-Marne, CIRAD, p. 31-36. 

- Turenne J. F. 1969. Déforestation et préparation du sol sur brûlis : modifications des caractères physico-chimiques de l’horizon supérieur du sol, Cayenne (GUF). ORSTOM, S.N., p. 294-304..

- Barret J.J. (dir). 2002. Atlas illustré de la Guyane. S.L. : Laboratoire de Cartographie de la Guyane - Institut d’Enseignement Supérieur de la Guyane, 219 p.

- Richard-Hansen C., Le Guen R. 2002. Guyane ou le voyage écologique, Paris : édition Roger Le Guen, Garies, 431 p.

 

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commentaires

M
Je suis heureux en lisant votre article, de voir que grace aux nouvelles technologies nous pourront avoir une idée exacte de l'avancée de la déforestation en guyane française. J'aimerais savoir si à part des "préconisations", des actions sont entreprises pour juguler l'expansion et l'incidence nocives de ces exploitations agricoles qui occupent le littoral guyanais.J'ai l'impression que ça confirme ce qu'il y a écrit dans cette articlehttp://www.fao.org/docrep/004/y3582f/Y3582F10.htm#P0_0Mesurer n'est pas protéger (même si bien sur c'est nécessaire)
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D
<br /> <br /> Vous avez tout à fait raison, même si les données sont nécessaires pour se rendre compte de l’aggravation ou de l’amélioration d’une situation. Pour le moment, il y a beaucoup de propositions en<br /> Guyane et très peu d’actions ! En tout cas, les actions sont surtout fortement médiatisées, mais difficilement perceptibles sur le terrain. C’est là une bien triste réalité.<br /> <br /> <br /> Le cas de l’orpaillage est bien pire.<br /> <br /> <br /> <br />

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