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9 mars 2009 1 09 /03 /mars /2009 15:48
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9 mars 2009 1 09 /03 /mars /2009 14:28

Article paru sur www.larecherche.fr

 

  Cet OR qui file un mauvais mercure

 

Laurent Charlet, Alain Boudou

 

Pourquoi des Amérindiens qui vivent dans des zones reculées de la Guyane, loin de toute activité minière, sont-ils contaminés par du mercure ? Plusieurs années d'enquête et d'analyses mettent en lumière le périple compliqué de ce métal, depuis les camps des chercheurs d'or jusque dans la chair des poissons préférés des Indiens.

En 1994, une étude du Réseau national de santé publique et de l'Inserm révèle une contamination au mercure, neurotoxique pour l'homme, chez des populations d'Amérindiens vivant dans des zones reculées de la Guyane, les Wayanas. Après cette alerte, des études plus poussées sont menées en 1997 [1]. Elles confirment des taux d'imprégnation* importants dans les villages qui bordent le fleuve Haut Maroni : 57 % des Wayanas ont une concentration en mercure dans les cheveux supérieure à 10 µg/g, la valeur seuil recommandée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les examens neurologiques et les tests d'évaluation psychologique et comportementale des enfants n'ont cependant pas mis en évidence de déficiences majeures. On est loin de la centaine de morts que fit la contamination d'origine industrielle à Minamata, au Japon, dans les années cinquante. Mais les tests effectués chez les enfants ont néanmoins révélé des réflexes rotuliens accrus, une moins bonne coordination des jambes, une diminution des capacités d'organisation visuo-spatiale, le tout étant lié aux ingestions de mercure [2]. Comment est-il ingéré ? Par la consommation de poissons : selon l'enquête nutritionnelle, tout Wayana entre 15 et 45 ans en consomme en moyenne 350 grammes par jour. Certains hommes adultes peuvent même en manger jusqu'à 600 grammes les jours de grande pêche [3]. Or les niveaux de contamination des poissons sont tels que la quantité de mercure ingérée par semaine (entre 200 et 450 µg) est égale, voire deux fois supérieure, à la dose hebdomadaire tolérable* recommandée par l'OMS, et jusqu'à dix fois plus élevée que la nouvelle dose de référence définie par l'Agence pour la protection de l'environnement aux États-Unis.

Le CNRS met alors en place un programme de recherche interdisciplinaire sur le sujet [4] : pour concevoir et proposer les mesures à prendre, c'est tout le cheminement biogéochimique du mercure, de ses sources aux cheveux des Amérindiens, qu'il faut comprendre et quantifier. Le mercure est un métal très particulier dont le cycle est complexe [5,6]. C'est le seul métal présent sous forme gazeuse dans l'atmosphère, il peut donc circuler à l'échelle du Globe. Il est aussi l'un des seuls capable de s'accumuler le long de la chaîne alimentaire, on parle alors de bioamplification : c'est ce processus qui peut conduire à une contamination humaine [7]. Le mercure existe sous trois formes principales : le mercure élémentaire (Hg°), le mercure divalent (Hg (II)) et le méthylmercure (MMHg) [fig. 2]. Cette dernière forme est la plus toxique pour l'homme, celle qui est bioamplifiée. Mais elle n'est pratiquement jamais le résultat direct des activités humaines : où, quand et comment est-elle donc produite ? À partir de 1998, une douzaine d'équipes s'attellent à résoudre l'énigme. Différentes questions se posent : d'où vient ce mercure ? Sous quelle forme est-il émis ? Où est-il transformé en méthylmercure et en quelles quantités ? Dans quelles conditions cette forme toxique s'accumule-t-elle dans les poissons ? Pour étudier les différents aspects du problème, cinq sites ont été sélectionnés [voir fig.1 ci-contre]. Deux d'entre eux sont situés en aval de mines d'or, suspectées d'être les sources de mercure : la rivière Petit Inini, au niveau du site minier de Dorlin, au sud-ouest de la Guyane ; et la zone de Saint-Elie, avec la rivière Leblond, qui se déverse dans le barrage hydro-électrique de Petit-Saut, localisé à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Kourou. Le troisième site est la retenue du barrage elle-même, où le mercure peut être volatilisé ou transformé en méthylmercure. Un quatrième site, Ecerex, sert de référence. Il se trouve de l'autre côté de Kourou, sur la côte près de l'embouchure de la rivière Sinnamary, loin des mines d'or et de leurs retombées atmosphériques. Et, bien sûr, un site a été choisi en territoire Wayana, près du village d'Antecume-Pata, à la frontière avec le Surinam.

Très vite, les résultats ont confirmé la responsabilité des chercheurs d'or. Après la ruée vers l'or de la fin du XIXe siècle, comme l'ensemble du bassin amazonien, la Guyane française connaît une nouvelle course au métal précieux depuis une vingtaine d'années. Les nouveaux orpailleurs, pour la plupart illégaux, exploitent principalement des sites ayant déjà été explorés superficiellement et utilisent du mercure élémentaire pour séparer l'or des autres particules. Ils dégagent d'abord les sites de leur couverture végétale et des couches superficielles, parfois avec des moyens semi-industriels. Puis, ils érodent les sols par projection d'eau, dans des fosses d'exploitation, les « barranques ». Ils peuvent aussi exploiter directement les sédiments des cours d'eau, qui sont alors aspirés à partir de barges flottantes. Dans les deux cas, la boue produite est acheminée par des pompes puissantes vers des tables inclinées qui retiennent les paillettes d'or dans un tapis. Entre alors en scène le mercure : c'est le seul métal liquide à température ambiante capable de concentrer les fines particules d'or en formant avec elles un amalgame, semblable aux « plombages » utilisés par les dentistes. Au cours de l'opération d'amalgamation, une partie du mercure élémentaire est rejetée directement dans la rivière, sous forme de billes similaires à celles qui s'échappent d'un thermomètre qui se brise. L'amalgame est quant à lui récupéré et chauffé avec un chalumeau, l'or restant au fond du récipient alors que le mercure est volatilisé.

Le mercure est très peu recyclé

Bien qu'une importante partie du mercure puisse être facilement recyclée par distillation et que l'on sache aujourd'hui purifier l'or sans mercure, la majorité des camps d'orpaillage illégaux utilisent l'amalgame sans recycler le métal. De plus, beaucoup d'orpailleurs considèrent qu'au-delà de deux ou trois utilisations, le mercure perd ses propriétés d'amalgamation. Dans la plupart des cas, il est alors enfoui dans le sol, à l'intérieur même des camps ou à proximité, sous couvert forestier. Ainsi, en moyenne, pour chaque kilogramme d'or extrait, on consomme 1,3 kilogramme de mercure élémentaire, dont 65 % à 85 % sont rejetés dans l'atmosphère et retombent, via les précipitations, plus ou moins loin des zones d'émission [8]. Quant à la production totale d'or en Guyane française, elle varie suivant les sources : 3 tonnes par an pour la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire), 6 tonnes par an d'après les déclarations aux services des douanes, 10 tonnes (voire 12) selon des sources non officielles tenant compte des exploitations « illégales » et de l'exportation clandestine [9]. C'est donc en gros entre 5 et 10 tonnes de mercure qui sont rejetées dans l'air, les sols et les rivières de Guyane chaque année. À l'échelle de l'ensemble du bassin amazonien, on estime ces rejets annuels à plus de 200 tonnes [8,10]!

Mais les chercheurs d'or sont-ils les seuls responsables de la contamination au mercure ? Des travaux récents ont montré qu'en Amazonie brésilienne les apports de mercure attribuables aux activités d'orpaillage et à la déforestation des trente dernières années représenteraient moins de 3 % des teneurs cumulées dans les sols superficiels [10]. Contrairement aux sols européens, qui datent seulement de la fin de la dernière glaciation (c'est-à-dire d'environ dix mille ans), les sols tropicaux ont accumulé, souvent plusieurs millions d'années durant, de grandes quantités de mercure d'origine naturelle, via les retombées atmosphériques des émissions volcaniques et océaniques. Ces sols, souvent épais d'au moins plusieurs mètres, sont donc de véritables réservoirs à mercure, qu'ils stockent sous sa forme divalente (Hg (II)). Et ce d'autant plus qu'ils sont riches en matière organique et en oxydes de fer. Les travaux menés dans la région du Tapajos, au Brésil, indiquent des teneurs allant de 10 à 30 mg/m2 dans les vingt premiers centimètres du sol, soit environ dix fois plus que dans les sols des régions tempérées et boréales [10]. Qu'en est-il exactement en Guyane ? Les mesures effectuées près des rivières Leblond, Toussaint (site Ecerex) et Petit Inini par Michel Grimaldi, de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), et ses collaborateurs, confirment l'importance de ces stocks naturels et montrent même qu'ils sont bien plus élevés qu'au Brésil : dans les sols riches en oxydes de fer, les teneurs atteignent une moyenne de 1 000 mg/m2 sur les trois premiers mètres de profondeur ! Mais il faut noter que les différences sont très fortes d'un type de sol à l'autre.

Une partie de ce mercure peut retourner vers l'atmosphère, lorsque les sols sont temporairement saturés en eau, comme l'ont démontré David Amouroux, chimiste à l'université de Pau, et Michel Grimaldi sur le site Ecerex. Dans de tels milieux privés provisoirement d'oxygène, des bactéries peuvent transformer le mercure divalent en forme élémentaire volatile, soit directement via l'intervention d'une enzyme (la réductase mercurique), soit indirectement en produisant du fer ferreux qui, à son tour, réduit le mercure [11]. Mais les expériences réalisées en laboratoire par Jean-Paul Gaudet et ses collaborateurs à l'université de Grenoble indiquent que plus de 90 % du mercure reste piégé dans les sols à l'échéance d'une vingtaine d'années. Il y est peu mobile, la très grande majorité du métal étant liée aux agrégats du sol. Ainsi, tant que l'on ne touche pas à ces sols, aucune contamination significative n'est à craindre, et le mercure - pourtant massivement présent - ne passe même pas dans les eaux souterraines. En revanche, tous les processus qui contribuent à accroître l'érosion des sols, qu'ils soient d'origine naturelle (comme le ruissellement lors des orages) ou anthropique (comme les activités minières, la déforestation, l'agriculture ou la construction des réseaux routiers), génèrent un flux important de matières en suspension, donc potentiellement de mercure.

Eau filtrée : aucun danger

À la différence de l'Amazonie brésilienne, où la déforestation est déjà très importante, la couverture végétale est encore quasi intacte en Guyane. Les activités d'orpaillage y sont pratiquement les seules à amplifier les phénomènes d'érosion naturelle. Même quand ils ne rejettent pas directement de mercure élémentaire lors de l'amalgamation, les chercheurs d'or « injectent » donc dans les rivières des particules porteuses du mercure divalent, jusque-là piégé dans les sols.

C'est par le biais de l'eau que le mercure finit par contaminer les Indiens Wayanas qui, rappelons-le, contrairement aux orpailleurs clandestins (lire « Les plus exposés, les moins contrôlés », p. 58), n'ont jamais été au contact du mercure par inhalation. Mais cela n'explique pas tout car, étonnamment, une fois filtrée*, l'eau des rivières amazoniennes ne contient pratiquement pas de mercure ! Marina Coquery, de l'Agence internationale de l'énergie atomique de Monaco, a mesuré la concentration en mercure dans l'eau filtrée de différents sites à l'aide de techniques dites ultrapropres. Ces concentrations sont de l'ordre du nanogramme ou milliardième de gramme de mercure par litre, ce qui correspond, à titre de comparaison, au rapport entre la surface d'un timbre-poste et celle d'un département français ! À de tels niveaux d'ultra-traces, la moindre contamination pendant le prélèvement ou le transport des échantillons fausse complètement les mesures, qui sont aujourd'hui effectuées, après une étape de préconcentration du mercure élémentaire sur des pièges d'or, par spectrométrie de fluorescence* atomique. La consommation d'eau filtrée ne présente donc aucun danger pour les populations, pas plus que les baignades dans l'ensemble des cours d'eau du bassin amazonien. Comment alors expliquer que les poissons pêchés soient impropres à une consommation quotidienne ?

Les teneurs en mercure mesurées dans le muscle dorsal des poissons, sur l'ensemble des sites, montrent tout d'abord que de très grandes différences existent entre les espèces : les poissons piscivores, situés au sommet des chaînes alimentaires, peuvent concentrer mille fois plus de mercure que les espèces herbivores strictes, se nourrissant uniquement de végétaux aquatiques ou de feuilles, fleurs et fruits provenant des rives des cours d'eau [3]. Mais, quel que soit le poisson considéré, le mercure s'accumule majoritairement dans le tissu musculaire sous une nouvelle forme chimique, le méthylmercure, la forme toxique que l'on retrouve dans les cheveux des Amérindiens. Selon les espèces, ce composé représente 70 % à 100 % du mercure total [12]. Cela est d'autant plus surprenant que le méthylmercure est très peu abondant au sein des biotopes aquatiques (colonne d'eau et sédiments) : il y représente le plus souvent moins de 1 % du mercure total, dans l'eau comme dans les particules, soit des concentrations de l'ordre du centième de milliardième de gramme par litre.

On sait que cette forme organique du métal est produite à partir du mercure divalent. Cette transformation, la méthylation*, est principalement assurée par des bactéries associées au cycle du soufre, même si d'autres voies de cette réaction existent [13]. Elle se fait au sein des compartiments aquatiques dépourvus d'oxygène, comme les eaux anoxiques des plaines inondées ou des lacs stratifiés, ainsi que dans les couches superficielles des sédiments [14]. Mais les bactéries sont aussi capables de dégrader le méthylmercure et de produire in fine du mercure élémentaire. Cela explique le bilan peu important de la production nette de méthylmercure. Cependant, même à partir de ces teneurs très faibles, voire négligeables, dans l'eau et les sédiments, le méthylmercure est capable d'atteindre des concentrations spectaculaires dans le tissu musculaire des espèces situées au sommet des réseaux alimentaires [fig.3]. Les résultats de Régine Maury-Brachet, de l'université de Bordeaux, montrent par exemple que l'espèce Hoplias aimara, un poisson carnivore/piscivore sédentaire et abondant dans les cours d'eau de Guyane, concentre dans ses muscles jusqu'à cinquante millions de fois plus de méthylmercure que l'eau, dépassant ainsi de trois fois les normes* en vigueur [15].

Cette bioaccumulation dépend-elle du taux de mercure total du départ ? Nous avons comparé deux rivières voisines en amont du barrage de Petit-Saut : Leblond, aux eaux turbides en raison des activités d'orpaillage de la zone de Saint-Elie, et Courcibo, aux eaux claires car non orpaillée au cours des dernières décennies [fig. 4]. Leblond contient environ cinq fois plus de particules en suspension, et donc beaucoup plus de mercure total que Courcibo. On pouvait donc s'attendre logiquement à un excès de contamination des poissons dans la rivière Leblond. Or, il n'en est rien : le dosage dans le muscle de douze espèces communes aux deux cours d'eau ne montre pas de différences significatives entre l'un et l'autre. Le vrai facteur déterminant est donc le taux de méthylmercure présent dans l'eau filtrée et non celui du mercure total. Les teneurs en méthylmercure sont en effet très proches dans les deux rivières, représentant 1 % du mercure total dissous pour Leblond, et 1,7 % pour Courcibo, d'où une bioamplification similaire dans les deux cours d'eau.

Toute une chaîne de réactions

On voit ainsi toute la difficulté à définir la contamination d'un milieu uniquement par la concentration totale en mercure, qui est un indicateur certes relativement simple à mesurer mais insuffisant. C'est toute une chaîne de réactions biogéochimiques qu'il faut prendre en compte. L'étude du barrage de Petit-Saut, mis en eau en 1994 pour alimenter en électricité le centre spatial de Kourou, est exemplaire à cet égard. Cette retenue, qui a recouvert plus de 350 km2 de forêt amazonienne, a très rapidement été dépourvue d'oxygène sur la quasi-totalité de la colonne d'eau. En 2001, sept ans après la mise en eau, seuls les 5 premiers mètres étaient oxygénés. Tout le reste (la profondeur maximale est de 35 mètres) est donc un milieu favorable tant à la réduction qu'à la méthylation du mercure [11, 16]. Les dosages de méthylmercure à diverses profondeurs dans le lac, et juste à l'aval du barrage, indiquent des concentrations moyennes de 0,50 ng/l, soit plus de dix fois celles mesurées en amont et dans les autres sites ! Ainsi, la retenue de Petit-Saut se comporte comme un réacteur biogéochimique capable de générer de fortes quantités de méthylmercure qui sont exportées vers l'aval, via les eaux profondes de la retenue qui alimentent les turbines du barrage. Les concentrations mesurées chez neuf espèces de poissons communes aux différentes stations (Courcibo, Leblond, retenue, aval du barrage) prouvent à nouveau le rôle clé du méthylmercure dans l'eau. Les poissons capturés juste en aval du barrage en accumulent nettement plus que ceux pris en amont et dans les autres sites, jusqu'à dix fois plus pour l'espèce Curimata cyprinoides.

Ainsi de tous les sites étudiés le plus contaminé se trouve en réalité à des centaines de kilomètres des villages du Haut Maroni. D'autres populations pourraient donc être plus exposées au mercure, à condition d'être de grandes consommatrices de poissons comme les Indiens Wayanas. Pour les identifier, un inventaire est en cours (niveaux de contamination des principales rivières de Guyane, tant au niveau des sédiments que des poissons) ainsi que des études similaires à celles menées sur les Wayanas, dans d'autres secteurs de la Guyane (Sinnamary, Bas Maroni, etc.).

Au vu de l'ensemble de ces résultats, que peut-on faire pour contrôler la pollution au mercure et tenter d'en réduire les conséquences ? Aborder cette question conduit inévitablement à recommander de traiter l'ensemble des problèmes économiques, sociaux, culturels et politiques que pose l'orpaillage [8]. Car cette activité est bel et bien responsable de la contamination, soit directement par apports de mercure élémentaire, soit indirectement par l'amplification des processus d'érosion des sols.

La première mesure, la plus efficace et la seule dont on soit actuellement certain du résultat, consisterait à convaincre les Amérindiens de ne plus manger certains poissons carnivores/piscivores (les études réalisées en 1997 sur les villages Wayanas montraient que quatre espèces sont à elles seules responsables de plus de 70 % des apports nutritionnels en mercure [3]) et de consommer plutôt les espèces herbivores et omnivores. Une telle mesure semble difficilement acceptable pour eux. Elle pourrait être envisagée dans le cadre de campagnes d'information pertinentes et adaptées - les autorités guyanaises y travaillent actuellement - tenant compte de l'importance des poissons carnivores dans la culture des Amérindiens. Quand on leur en parle, ces derniers répondent légitimement que les poissons à éviter sont les meilleurs et que l'on devrait d'abord interdire l'orpaillage...

On pourrait effectivement préconiser de remettre en question l'orpaillage, ou au moins d'adopter une politique plus sévère de gestion des activités minières. Cela passerait par un contrôle strict et fréquent des sites, et par la formation des orpailleurs, car des solutions techniques de récupération de mercure et de limitation des rejets existent. Mais en raison du caractère souvent clandestin de ces activités et de l'isolement des sites d'orpaillage, la tâche n'est pas simple. De plus, on manque encore de données in situ sur les impacts réels de l'orpaillage et de l'exploitation minière contrôlée. Des études débuteront en 2003 sur un site minier expérimental pour distinguer les apports anthropiques des apports naturels en mercure.

En termes de politique d'aménagement du territoire, les résultats concernant la richesse naturelle en mercure des sols de Guyane sont très importants. On l'a vu, ce métal ne porte pas à conséquence tant qu'il reste piégé. Aujourd'hui, les orpailleurs sont pratiquement les seuls à toucher à cet énorme stock. Mais, si à l'avenir on construisait des routes, de nouvelles mines, etc., on risquerait de connaître de gros problèmes. Une deuxième mise en garde découle des résultats obtenus sur le site de Petit-Saut : toute création ou extension de zones d'eaux anoxiques (style barrages, marécages ou zones inondables) favorisera le développement de bactéries sulfato-réductrices, et donc les conditions de production de méthylmercure. Or, une fois que cette forme de mercure est présente dans les systèmes aquatiques, il se révèle difficile de contrôler les processus de bioamplification qui conduisent à la contamination des populations.

EN DEUX MOTS Les chercheurs d'or quand ils ne prennent aucune précaution sont doublement responsables de la pollution au mercure en Guyane. Le métal présent dans les rivières et les poissons provient effectivement en partie du mercure qu'ils utilisent pour recueillir l'or et qu'ils rejettent dans l'environnement. Mais aussi de l'érosion des sols très anciens, naturellement riches en cet élément, qu'ils amplifient. Dans l'eau, le mercure se trouve à l'état de trace. Mais même à partir de ces quantités infimes, des bactéries peuvent le transformer en méthylmercure, la forme la plus toxique. C'est elle qui se concentre le long des chaînes alimentaires aquatiques et intoxique in fine les populations grandes consommatrices de poissons.

 

 

 

Laurent Charlet, Alain Boudou

[1] Programme « Exposition au mercure de la population amérindienne Wayana de Guyane » (1997-1998), à l'initiative de l'Institut de veille sanitaire, de l'Inserm et du Laboratoire d'écophysiologie et d'écotoxicologie des systèmes aquatiques de Bordeaux, rapport de synthèse IVS, Paris, 1999.

[2] S. Cordier et M. Garel, « Risques neurotoxiques chez l'enfant liés à l'exposition au méthylmercure en Guyane française », rapport IVS, Paris, 1999.

[3] N. Fréry et al., Environ. Health Persp., 109, 449, 2001.

[4] Programme « Mercure en Guyane », Programme environnement, vie et sociétés (PEVS/CNRS), rapports de synthèse 2001 et 2002.

[5] F.M.M. Morel et al., Ann. Rev. Ecol. Syst., 29, 543, 1998.

[6] D. Cossa et C. Gobeil, Can. J. Fish. Aquat. Sci., 57, 138, 2000.

[7] A. Boudou et F. Ribeyre, « Mercury in the food webs », in Mercury and its Effects on Environment and Biology, A. Sigel et H. Sigel (éd.), M. Dekker (New York), 1997, p. 289-319.

[8] L.D. Lacerda, Nature, 374, 20, 1995.

[9] C. Taubira-Delannon, « L'or en Guyane : éclats et artifices », Rapport au Premier ministre, 2001.

[10] M. Roulet et al., Water Air Soil Pollut., 112, 297, 1999.

[11] L. Charlet et al., Chem. Geol. 190 (124), 301, 2002.

[12] M. Roulet et R. Maury-Brachet, « Le mercure dans les organismes aquatiques amazoniens », in Le Mercure en Amazonie, coll. « Expertise collégiale », IRD Éditions, Paris, 2001.

[13] J.W.M. Rudd, Water Air Soil Pollut., 80, 697-713, 1995.

[14] J.R.D. Guimaraes et al., Sci. Total Environ., 261, 99-107, 2000.

[15] Y. Sciama, La Recherche, 339, 93, 2001.

[16] D. Amouroux et al., Environ. Sci. Technol., 33, 3044, 1999.

[17] C.Beucher et al. Sci. Tot. Environ., 290, 131, 2002

[18] M. A. Mélières et al., Sci. Tot. Environ., sous presse.

 

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9 mars 2009 1 09 /03 /mars /2009 14:08

L’orpaillage en Guyane

 

 

Didier MOULLET, Pascal SAFFACHE, Anne-Laure TRANSLER

Université des Antilles et de la Guyane, Campus de Schœlcher, Département de Géographie, BP 7207, 97275 Schœlcher Cedex, Martinique

 

 

Nous sommes bien loin du temps où certains explorateurs pensaient trouver une fabuleuse contrée où l’or abonderait. Bien que l’existence d’une telle manne providentielle ne fût jamais prouvée, le premier gisement aurifère sera découvert en Guyane française dès l’année 1855. L’extraction aurifère présente de nombreux avantages pour l’économie guyanaise (en excluant l’activité spatiale, le secteur aurifère est au premier rang à l’exportation) mais cette activité manifeste également un certain nombre de nuisance pour l’homme et son environnement. En effet, des expertises menées au début des années 2000 ont permis de mettre en évidence l’apport anthropique mercuriel dans les fleuves guyanais. Ainsi, l’activité d’orpaillage favorise indirectement la mobilisation du mercure naturellement présent dans les sols guyanais (cette part de mercure correspond au fond géochimique) par rapport aux dégradations de la zone exploitée (érosion, déforestation, lavage des sols, etc.) ; l’activité d’orpaillage remet également directement en circulation une certaine quantité de mercure par l’utilisation de ce métal pour amalgamer l’or. D’importantes dégradations sont ainsi exercées à l’abri des regards dans la forêt guyanaise ; ces atteintes environnementales et humaines sont nombreuses (contaminations mercurielles, érosions, rejets d’hydrocarbures, décharges sauvages, etc.) et leurs effets sur la santé des populations qui vivent à proximité ou à l’exutoire des cours d’eau contaminés ne sont pas négligeables.

Afin d’entrevoir plus efficacement les principaux facteurs de contamination mercurielle et les méthodes qui en permettraient la réduction dans les fleuves et le milieu marin, nous présenterons ainsi leurs origines et nous proposerons également quelques solutions.

 

I. L’orpaillage clandestin : une activité nuisible pour l’homme et l’environnement

L’or alimente de nombreux esprits en quête du fabuleux métal jaune qui nourrit tant de convoitise à travers les âges ; la Guyane ne sera pas épargnée par cet élan pour le moins onirique fondé bien souvent sur le mythe de l’« el dorado ».  Au milieu du XIXème siècle l’européen Félix COUY, alors commissaire du quartier de l’Approuague, sera le premier à exploiter un gisement aurifère en Guyane française ; ce premier gisement d’or secondaire aura été découvert par un brésilien du nom de « Paoline » en 1855.

Toutefois, l’épaisse forêt guyanaise ne permet pas vraiment le développement de technique d’extraction industrielle de l’or et c’est en grande partie pour cette raison que l’orpaillage s’imposera très rapidement ; néanmoins, bien que l’extraction d’or primaire présente quelques complexité, nous verrons par la suite de des entreprises internationale semblent bien vouloir relever ce défis au sein de ce département français. 

 

Bien que des actions soient menées à ce jour par les forces de gendarmeries en Guyane, notamment à travers des opérations  communément appelées « anaconda », force est de constater que l’orpaillage clandestin poursuit son intensification et cette activité pose un véritable problème aux pouvoirs publics. Cet océan de verdure qui se caractérise par la forêt guyanaise, est à la fois le terrain d’action des orpailleurs illégaux mais également un moyen de protection qui permet d’œuvrer en toute impunité à la recherche des précieuses paillettes aurifères. On associe à l’activité d’orpaillage un certain nombre de techniques qui présentent des effets néfastes pour le milieu naturel, mais aussi pour l’homme. Il y a d’abord le lavage des sols aurifères qui a pour objectif d’éroder ces sols afin d’en extraire et récupérer les microparticules d’or ; cette action érosive augmente la turbidité de l’eau dans les fleuves en déplaçant une grande quantité de sédiments terrigènes dans le milieu marin, favorisant ainsi la disparition de la faune et de la flore. De plus, les sols guyanais étant naturellement riches en mercure, l’emploi de ce procédé par l’orpailleur clandestin (dans le but d’extraire les paillettes d’or des boues aurifères) a pour effet de mobiliser la part mercurielle représentée par le fond géochimique et libère ce métal sous sa forme élémentaire. 

Cependant, les nuisances occasionnées par l’activité clandestine ne se bornent pas à des effets indirects puisqu’une part importante de mercure est directement transférée vers le milieu naturel durant la phase d’amalgamation de l’or ; l’orpailleur utilise habituellement le mercure pour amalgamer les paillettes d’or et cet apport mercuriel anthropique vient donc s’ajouter à celui qui est libéré par l’érosion des sols de Guyane. De plus, durant la destruction de l’amalgame, une part importante de mercure est dispersé dans le milieu naturel ou se volatilise ; ces retombées atmosphériques s’organisent généralement à proximité des campements illégaux. D’une certaine manière, les conditions de vie des travailleurs clandestins sont généralement précaires (manque d’hygiène, défaillance ou absence de soins en cas d’accidents, exposition aux métaux lourds, etc.) et les atteintes du milieu naturel sont nombreuses (érosion, déforestation, fuites d’hydrocarbures, décharges sauvages, dispersion du mercure pour l’amalgamation de l’or, etc.).

Si l’on admet que l’activité clandestine est un véritable fléau en Guyane, les alternatives proposées par le gouvernement sont rapidement dépassées par l’ampleur de ce phénomène ; la forêt guyanaise est de plus un territoire immense et aux frontières pour le moins perméables, ce qui rend la tâche encore plus complexe. Bien que les PME investissent dans de nombreux placers et les compagnies internationales s’intéressent ardemment aux gisements d’or primaire, l’activité illégale tend à se renforcer et prend une ampleur démesurée. L’orpaillage clandestin est bien souvent pointé du doigt en Guyane et est à l’origine d’une contamination mercurielle non négligeable ; de nombreuses études ont été réalisées sur l’impact et l’imprégnation mercurielle en Guyane et l’activité clandestine correspond à un des principaux facteurs mis en avant pour expliquer cette contamination. La part de mercure correspondant au fond géochimique est généralement mobilisée dans le milieu naturel lors du lavage des sols aurifères, la récupération des paillettes d’or se fait par amalgamation et une part de mercure élémentaire est directement rejetée dans le milieu naturel.

 

II. Les pollutions mercurielles en Guyane Française

 

II.1 Un métal présent dans les sols guyanais

Le mercure est naturellement stocké dans les sols de Guyane depuis des millions d’années ; des retombées atmosphériques chargées en mercure divalent sont à l’origine de la présence de ce métal (Charlet et al, 2002). L’origine naturelle du mercure est volcanique et cette source primaire est habituellement transportée par voie aérienne avant de retomber sur le sol avec les précipitations. Toutefois, l’origine naturelle du mercure en Guyane est tout autre et la source primaire provient de la roche mère sous forme de minéraux ;  (Roulet  et al, 2001). Certaines études réalisées dans l’expertise collégiale de l’IRD font état de cette particularité en mettant notamment en exergue les spécificités des sols de Guyane. Ainsi, le mercure est présent dans les minéraux de la roche mère ; habituellement, lorsque la roche mère est riche en éléments mercurielle, les sols sont souvent riches en mercure à l’instar des sites localisés dans la ceinture mercurifère . Néanmoins, la présence de mercure dans les sols de Guyane ne traduit pas une contamination mais une concentration mercurielle naturelle ; la contamination se matérialise lors de la mobilisation du mercure stocké dans le sol par l’action érosive des lance monitor des orpailleurs (érosion, déforestation, lavage des sols pour récupérer les paillets d’or, etc.). L’activité anthropique est donc à l’origine de cette contamination.

 

II .2 L’orpaillage : un mode d’extraction bien rudimentaire

Si les efforts réalisés par l’activité d’extraction aurifère légale en Guyane sont nombreux , on ne peut pas en dire autant concernant l’orpaillage clandestin qui est considéré comme l’une des principales sources de contamination mercurielle dans ce département français. La contamination mercurielle n’est pas l’unique nuisance occasionnée par ce mode d’extraction, mais bien l’ensemble de cette activité. Dans bien des cas, l’opérateur minier érode le sol et le lit des fleuves par lavage ou simplement en creusant le lit mineur à l’aide d’outils parfois semi-industriels (pelle mécanique, pompe à eau à haute pression « lance monitor », barge de dragage, etc.) ; le site est généralement profondément dénaturé par ces actions. L’action érosive de l’eau augmente la turbidité des fleuves et mobilise le mercure élémentaire présent naturellement dans les sols ferralitiques de Guyane (Charlet et al, 2002). De plus, la découverte d’un site conduit généralement l’orpailleur à dégager la végétation dans le but de mettre en place ces installations qui permettront la récupération des microparticules aurifères pigées dans la boue. Ce processus de récupération des paillettes d’or s’accompagne ainsi d’une importante dégradation de l’environnement et d’une contamination du milieu marin (déforestation du site, augmentation de la turbidité des fleuves, contamination mercurielle (vaporisation dans l’atmosphère lors de la destruction de l’amalgame et rejet direct durant le processus d’amalgamation ), etc.).

 

II.3 Contaminations et imprégnations mercurielles

L’activité d’orpaillage est un des principaux facteurs de contamination mercurielle en Guyane et les rejets, qu’ils soient directs ou non, se retrouvent au sein du réseau trophique ; une étude  menée par l’InVS et l’INSERM présente l’imprégnation mercurielle d’une population d’amérindien en Guyane française. Il en ressort des résultats pour le moins parlants avec une concentration en mercure supérieure à la valeur recommandée par l’organisation mondiale de la santé qui est de 10 µg/g dans les cheveux ; ces résultats concernent près de la moitié des individus qui ont été sélectionnés pour cette étude et la quantité de mercure présent dans les cheveux est en moyenne égale à 11,4 µg/g  (InVS, 1994). L’imprégnation mercurielle ainsi observée au sein de cette population est principalement liée à une contamination de la chaîne alimentaire ; la contamination par le mercure des poissons consommés par cette population est liée à l’activité d’orpaillage. Habituellement utilisé pour amalgamer les microparticules aurifères, le mercure en excès est éliminé par pressage et la récupération de l’or se fait en chauffant l’amalgame ainsi constitué ; durant cette opération, près de 70 % du mercure est perdu par volatilisation (Kom (J), 2001).

Le mercure utilisé par l’orpailleur est donc rejeté dans le milieu marin et associé au mercure élémentaire correspondant au fond géochimique ; ce processus de contamination est un des facteurs qui permet de comprendre comment le mercure se retrouve en forte concentration dans la chair des poissons piscivores en bout de chaîne alimentaire. De plus, certaines études permettent de mieux cerner le rôle d’installations dans le transfert mercuriel de sa forme élémentaire à sa forme organique ; le barrage hydroélectrique de Petit-Saut présente justement les caractéristiques suffisantes pour permettre le transfert du mercure de sa forme élémentaire à sa forme organique (méthylmercure), la plus toxique pour l’homme. Ce barrage fonctionne donc comme un bio-réacteur et la raréfaction de l’oxygène à moins de cinq mètres de profondeur rend la formation de méthylmercure possible. Il s’avère que les fleuves soumis aux pressions de l’orpaillage sont généralement de nature exoréique, on comprend bien la gravité de ce phénomène en Guyane si ce processus de méthylation s’opère au sein d’un milieu anoxique tel que les mangroves. Dès que la forme organique  est présente dans le milieu aquatique, sa bioamplification devient difficilement contrôlable et accentue de ce fait le risque pour les populations (Charlet et al., 2002). Les mangroves étant présentes sur la quasi totalité du littoral guyanais, le stockage du méthylmercure au sein des sédiments vaseux semble plausible.

 

III. La télédétection comme élément de réponse à l’orpaillage illégal ?

La photo aérienne et l’image satellite sont des outils qui permettent d’avoir un certain nombre d’informations permettant la localisation des sites d’orpaillage. Ces outils peuvent servir à localiser les sites d’orpaillages clandestins mais également les sites légaux qui dépassent le périmètre établit dans le permis d’exploitation.

L’activité d’orpaillage entraîne la mobilisation d’une certaine quantité de matière terrigène dans les canaux drainant naturels ; cette activité conduit ainsi à une augmentation de la turbidité de l’eau qui liée à l’érosion des sols pour en extraire les paillettes aurifères. Ce procédé permet de détecter - par le biais de l’image satellite - les zones où la turbidité de l’eau est supérieure à la normale. La réflectance  de l’eau permet dans déterminer la profondeur mai également la turbidité. Par la suite, dès que l’image satellite permet de localiser les sites qui sont orpaillés et l’emploi de la photo aérienne favorise une meilleure localisation du site d’extraction aurifère ; les barranques et les zones de déforestations apparaissent ainsi avec une meilleure définition (Polidori et al, 2001). La télédétection permet à la fois de surveiller le développement l’activité aurifère ainsi que ses effets sur le milieu naturel.

Quelques méthodes qui sont mises en avant par la DRIRE , elles sont axées en partie sur l’éducation de l’orpailleur en essayant de lui faire prendre conscience des dangers qu’il encours en manipulant du mercure sous sa forme élémentaire et les effets du mercure sur l’environnement.

 

L’imagerie satellitaire et la photographie aérienne sont des outils qui permettent de surveiller l’activité aurifère et ses effets sur l’environnement. Toutefois, l’activité illégale continue à se développer en Guyane française et la mobilité de certains orpailleurs oblige une surveillance de courte périodicité ; de plus, l’analyse sur le terrain est d’une grande importance afin de valider les données recueillies par le biais de la télédétection.

Toutefois, l’accent doit être mis sur des méthodes qui visent essentiellement à diminuer l’érosion des sols ainsi que l’apport en mercure élémentaire dans le milieu naturel ; l’érosion de sols par l’activité d’orpaillage a pour effet de libérer le mercure du fond géochimique. Des actions sont donc à mener directement sur le terrain afin de diminuer les risques de contamination mercurielle ainsi que l’enrichissement des zones anoxiques en mercure élémentaire ; ces zones anoxiques sont de véritable bioréacteur qui transfert la forme élémentaire du mercure à sa forme la plus toxique pour l’homme, la forme méthylé. Sans être pour autant alarmiste, il est important de mettre en pratique certains de ces axes quand on sait qu’une grande partie du littoral guyanais est occupée par une vaste zone anoxique, la mangrove. 

 

Bibliographie

- CARMOUZE (J-P) et al, Le mercure en Amazonie : rôle de l’homme et de l’environnement, IRD éditions, Expertise collégiale, (Roulet (M) p 81-120 ; (Roulet (M) et al) p 121-166 ; (Kom (J) p 299-320 ; (Orru (J-F)) p 409-446 ; (Polidori (L) et al) p 473-493, 2001

- CHARLET (L) ; BOUDOU (A), Cet or qui file un mauvais mercure, La recherche n°359, décembre 2002, p 52-59

- InVS ; INSERM, Exposition au mercure de la population amérindienne Wayana de Guyane, Enquête alimentaire, 1994, mis à jour en septembre 1997

- POLIDORI (L), Introduction à la télédétection spatiale, École supérieure des géomètres et topographes, p 16-17, n.d

- STROBEL (M-B), Les gens de l’or, IBIS Rouge, 1998, p 71-114

- TRANSLER-UNFER, AL. (2004). Impact des activités anthropiques sur les écosystèmes littoraux : le cas de la Guyane. Université des Antilles et de la Guyane (UAG), Maîtrise de Géographie, SD : P. JOSEPH, 152 p.

- Institut de veille sanitaire : http://www.invs.sante.fr/publications/mercure/rapport1.html ; http://www.invs.sante.fr/publications/mercure_guyane/index.html

- Programme mercure en Guyane : http://www-lgit.obs.ujf-grenoble.fr/users/charlet/Mercure/ ii.htm

- IRD, laboratoire régional de la télédétection (Polidori (L)) : http://www.cayenne.ird.fr/laboratoires/teledetection/pres-LRT.htm

- Cet or qui file un mauvais mercure : http://www-lgit.obs.ujf-grenoble.fr/users/charlet/Mercure/OretMercure.pdf

 

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9 mars 2009 1 09 /03 /mars /2009 12:36

GRÈVE GÉNÉRALE 300 avis dans le forum et des sondages pour savoir ce que pense la Martinique

franceantilles.fr 26.01.2009

Pour ou contre la grève, vous avez la parole. Découvrez ce que pensent les internautes.
Quel est votre sentiment sur le mouvement de grève générale ? Grace aux mini sondages que nous vous proposons, vous pouvez faire entendre votre voix et découvrir ce que pensent les internautes.
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9 mars 2009 1 09 /03 /mars /2009 11:45

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POINTE-A-PITRE (AFP) — Le porte-parole et leader du LKP, Elie Domota, a affirmé jeudi soir à propos des manifestations et blocages d'entreprises qui se sont poursuivis durant la journée que "soit ils appliqueront l'accord, soit ils quitteront la Guadeloupe".

"Nous n'arrêterons pas et je l'ai dit ce soir au préfet" a déclaré M. Domota, qui s'exprimait jeudi soir sur Télé-Guadeloupe. "Soit ils appliqueront l'accord (prévoyant une augmentation salariale mensuelle de 200 euros), soit ils quitteront la Guadeloupe" a-t-il poursuivi au sujet des entreprises bloquées par piquets de grève ou groupes mobiles de manifestants.

Le leader du LKP a souligné: "Nous sommes très fermes sur cette question là. "Nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir l'esclavage" a-t-il poursuivi en citant deux opérateurs économiques locaux qu'il a nommés, "et tous les autres".

"Il faut qu'ils appliquent l'accord: nous demandons son extension sur le plan juridique mais, sur le terrain, nous n'arrêterons pas tant qu'ils n'appliqueront pas l'accord, singulièrement dans l'hôtellerie", a ajouté M. Domota.

Selon lui, il est "hors de question, aujourd'hui d'aller faire des courses dans des entreprises qui exploitent des Guadeloupéens, dans les entreprises qui ne donnent pas 200 euros à leurs salariés". "Nous demandons aux guadeloupéens de ne pas aller dans ces entreprises là, de ne pas aller à Match, Carrefour, Cora, de ne pas faire de courses dans les entreprises qui n'appliquent pas l'accord".

Interrogé pour savoir s'il ne craignait pas les conséquences de son appel pour les personnels de ces entreprises, M. Domota a répondu: "Ils trouveront du travail". "De toute façon, quand leurs patrons auront mal, ils feront en sorte d'appliquer l'accord", a-t-il aussitôt ajouté.

Durant toute la journée de jeudi, un groupe d'une centaine de manifestants très mobiles a bloqué à plusieurs reprises des carrefours au Gosier (à 6 km de Pointe-à-Pitre), où sont situés de nombreux hôtels de tourisme. Les manifestants se dispersaient sans incidents lors de l'arrivée des forces de l'ordre, avant d'investir la chaussée quelques centaines de mètres plus loin, avait constaté l'AFP.

A Baie-Mahault, un centre commercial a du fermer dans le courant de la matinée de jeudi avant que les boutiques qui y sont implantées puissent ouvrir de nouveau, avait-on appris sur place. Les grévistes d'un hypermarché Carrefour et de plusieurs supermarchés spécialisés de ce centre commercial en ont, par contre, interdit les accès durant toute la journée.

Jeudi toujours, la fédération patronale du BTP, adhérente du Medef-Guadeloupe, a "adhéré à l'accord" augmentant les salaires de 200 euros, a confirmé à l'AFP son président, José Gaddarkan.


Copyright © 2009 AFP. Tous droits réservés.
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9 mars 2009 1 09 /03 /mars /2009 11:32


Tirs de grenades lacrymogènes, jets de pierre et de bouteille, feux de véhicules et de poubelles se sont déroulés une bonne partie de l'après-midi de vendredi à Fort-de-France, frappée de plein fouet par de violents affrontements.

Image de PANCHO
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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 15:45

Martinique et Guadeloupe :

des écosystèmes côtiers en sursis

 

Pascal SAFFACHE, Didier MOULLET

Université des Antilles et de la Guyane, Faculté campus de Schœlcher, département de géographie-aménagement, BP 7207, 97275 Schœlcher Cedex, Martinique (FWI)

 

 

Résumé

Les écosystèmes côtiers des Antilles françaises sont particulièrement fragiles, en raison de contraintes naturelles et anthropiques. Les contraintes anthropiques résultent essentiellement des carences des politiques de planification urbaine et d’aménagement et de la non prise en compte par les populations des impacts qu’elles peuvent infliger au milieu.

A l’avenir, une bonne gestion de ces espaces impliquera une redéfinition de ces politiques,  une gestion globale et raisonnée de ces espaces et une éducation populaire réaffirmée.

 

Mots clés : Antilles françaises, littoral, écosystèmes côtiers, dégradations.

 

 

Introduction

De forme arquée, l’archipel des Petites Antilles se compose deux Départements français d’Outre Mer (DOM) : l’archipel guadeloupéen et l’île de la Martinique. La Martinique se localise à 14,4° N et 61° W, tandis que la Guadeloupe, plus au nord, se situe à 16,3° N et 61,3° W.

L’archipel guadeloupéen se compose de deux îles principales (la Grande-terre et la Basse-Terre), d’origine volcanique, entourée par cinq dépendances : Marie Galante (158 km2), la Désirade (20 km2), les Saintes (13 km2) et deux autres îles situées à 250 km plus au nord : Saint-Barthélemy (21 km2) et la partie nord de l’île de Saint-Martin (50 km2). La Guadeloupe est donc un espace archipélagique d’une superficie de 1900 km2 environ, alors que la Martinique représente une entité volcanique homogène de 1100 km².

Les Antilles françaises sont des espaces originaux marqués par une hypertrophie de leur secteur tertiaire, une urbanisation et une démographie galopantes, le tout étant associé à des nuisances liées à l’inefficience des politiques de planification et plus généralement d’aménagement. Sur le plan économique, les cultures d’exportation (canne à sucre et bananes) sont avec le tourisme les principales richesses économiques de ces deux îles. Ce contexte économique peu reluisant sert néanmoins de cadre à de nombreuses atteintes environnementales, dont les incidences sur les écosystèmes sont de plus en plus durables.

Pour prendre la mesure de ces atteintes, les écosystèmes littoraux et marins des Antilles françaises seront présentés de façon synoptique, l’ensemble des facteurs naturels et anthropiques qui affectent ces milieux le seront eux aussi et des propositions concrètes de sauvegarde seront proposées.

 

 

I. Les écosystèmes côtiers des Antilles françaises : des milieux variés mais fragiles

Aux Antilles françaises, trois écosystèmes côtiers peuvent être distingués : les mangroves, les herbiers de phanérogames et les récifs coralliens.

Les mangroves se développent essentiellement aux embouchures des rivières et plus généralement dans les fonds des baies. En Guadeloupe, par exemple, elles occupent une superficie moyenne de 3000 ha (Chauvaud, 1997), alors qu’en Martinique elles ne couvrent plus que 1278 ha en raison des nombreuses pressions subies. A titre d’information, la mangrove martiniquaise a vu sa superficie régresser de près de 30 % en 20 ans (SIEE, 1998) ; c’est ce qui explique que la mangrove de la baie de Fort-de-France ne couvre plus que 680 ha contre plus de 2300 ha dans le Grand-Cul-de-Sac Marin en Guadeloupe (Chauvaud, 1997) .

Cet écosystème se compose principalement d’un front pionnier de Rhizophora mangle (palétuviers rouges), ceinturés par des Avicennia germinans et des Avicennia schaueriana (palétuviers blancs et noirs), bordés eux mêmes par une association de mangles blancs et gris (Laguncularia racemosa et Conocarpus erectus).

Les mangroves étant des espaces répulsifs, durant de nombreuses années elles ne furent exploitées  que par des populations marginales qui n’en extrayaient que leur minimum vital. Quand la pression démographique s’est accrue, mais surtout quand ces populations prirent conscience des profits qu’elles pourraient tirer de la vente des produits de la mangrove (charbon de bois, crustacés, miel, etc.), des prélèvements importants furent réalisés et les racines des palétuviers qui formaient jadis un véritable labyrinthe furent coupées pour y récolter les huîtres qui y étaient fixées. Les racines ne jouant plus leur rôle protecteur, le pourcentage d’alvins et de petits crustacés diminua ; parallèlement, la capacité naturelle de régénération de ces milieux fut dépassée et un déséquilibre durable s’installa.

Ce déséquilibre s’est encore accentué, lors de la mise en valeur des zones côtières : extension des zones urbaines, des stations balnéaires, des marinas, etc. La capacité naturelle d’épuration des mangroves étant largement dépassée, pour la plupart elles sont maintenant en phase de régression, d’où leur aspect relictuel aux Saintes, à la Désirade, dans le cul-de-sac du Marin, et dans les baies de Fort-de-France et de Tartane.

 

Côté mer, à proximité des mangroves, se développent généralement des herbiers de phanérogames marines, synonymes d’une bonne qualité sanitaire du milieu. Ils se concentrent principalement dans le Grand Cul-de-Sac Marin (Guadeloupe), où ils occupent plus de 8 000 hectares, et s’étendent aussi sur la côte orientale de la Basse-Terre où ils couvrent plus de 1300 hectares (Chauvaud, 1997). En Martinique, cet écosystème occupe une place importante (3000 ha environ), puisqu’on le retrouve dans la plupart dans les baie en couverture homogène ou discontinue ; cependant, en raison des nombreux défrichements réalisés sur les bassins-versants sommitaux (mitage des espaces naturels) et suite à l’augmentation de la pollution urbaine (absence de tout à l’égout, de stations d’épuration ou de fosses septiques), cet écosystème est aujourd’hui fossilisé ou nécrosé (Chauvaud, 1997). Les deux principales espèces encore présentes sont les Thalassia testudinum (entre 0 et - 10 m) et les Syringodium filiforme (de - 10 à - 30 m) en concurrence de plus en plus importante avec les algues de type Sargassum et Turbinaria, synonymes de forte eutrophisation du milieu.

 

Plus au large, apparaissent des récifs coralliens qu’il est possible de scinder en deux catégories : les récifs frangeants et barrières. Quelles que soient leurs caractéristiques, une faune nombreuse et variée leur est inféodée : 570 espèces de mollusques (Pointier et al., 1990), une soixantaine d’espèces de crustacés (Bourgeois-Lebel, 1982) 200 espèces de poissons (Bouchon-Navarro et al., 1997) et cinq espèces de tortues (Fretey, 1990) dont deux sont fréquemment observées dans les lagons guadeloupéens. Cette distribution est moindre au niveau des formations récifales martiniquaises où ont été recensées près de 370 espèces de mollusques (Lamy et al., 1984), 143 espèces de poissons (Bouchon-Navarro et al., 1997) et trois espèces de tortues de plus en plus menacées (Fretey, 1990).

Ces caractéristiques faunistiques évoluent toutefois rapidement, car en raison des pollutions urbaines (pour ne prendre que deux exemples, en 1991, sur une vingtaine de stations d’épuration moins d’une dizaine traitaient convenablement les effluents guadeloupéens ; à la même période, les communes localisées autour de la baie de Fort-de-France disposaient uniquement de 9 stations d’épuration), des rejets des distilleries et des sucreries (DRIRE, 1994), ainsi qu’en raison de l’importance des pollutions liées aux hydrocarbures et aux métaux lourds (DRIRE, 1994), les récifs frangeants sont de plus en plus nécrosés et la faune qui leur est associée dépérit ou migre vers des secteurs moins pollués.

Parallèlement, de par leur rareté ou en raison de la qualité de leur chair, certains mollusques (Stombus Giga), crustacés (Panulirus argus) ou même certains échinodermes (Tripneustes esculentus), voient leur population régresser en raison des pressions exercées par les pêcheurs et les plongeurs occasionnels. Les activités touristiques sont également néfastes pour ces écosystèmes, notamment la plaisance qui exerce de nombreuses pressions sur les coraux et les herbiers.

 

En définitive, bien que les conditions du milieu soient favorables à la biodiversité et bien que les biotopes soient diversifiés, il appert que ce sont les facteurs naturels et anthropiques qui perturbent et dégradent durablement le fonctionnement naturel des écosystèmes.

 

 

II. Influences des facteurs naturels et anthropiques

II.1 Les pressions naturelles

Les Antilles françaises sont régulièrement concernées par des phénomènes météorologiques paroxysmiques, puisqu’un météore les affecte en moyenne une fois par décennie. L’ouragan Hugo, par exemple, traversa la Guadeloupe en 1989, alors que la Martinique fut directement concernée en 1979 et 1981 par les cyclones David et Allen et en 1993 par la tempête tropicale Cindy. Ces manifestations paroxysmiques se caractérisent par une forte dégradation des écosystèmes côtiers, dont les facteurs constituants sont arrachés et arasés. Les fortes précipitations qui accompagnent le passage des ouragans se traduisent aussi par une chute de la salinité de l’eau de mer (phénomène de dessalure), relayée par une arrivée massive d’eau douce riches en sédiments terrigènes à l’origine de l’asphyxie des platures coralliennes.

Les herbiers de phanérogames qui ne disposent pas d’un développement racinaire important (Syringodium filiforme) sont extrêmement vulnérables, car mobilisables par les houles cycloniques.

Ces phénomènes paroxysmiques ont aussi des effets néfastes sur les mangroves, en raison de l’élévation du niveau de la mer (surcote marine) et de la force dévastatrice des houles. Les surcotes entraînent une disparition des substrats vaseux par ennoiement, la mort programmée des espaces végétales par sursalure et l’arrachage des populations les plus fragiles. Lors du passage de l’ouragan Hugo (Guadeloupe), les houles mirent en suspension des quantités si importantes de vase, qu’elles entraînèrent une chute du taux d’oxygène de l’eau de mer et une augmentation de la mortalité des principales espèces halieutiques.   

 

D’autres facteurs moins violents ont pour effet de fragiliser durablement les récifs coralliens. A titre d’exemple, une mortalité importante des oursins diadèmes (Diadema antillarum) au début des années 1980 entraîna une prolifération d’algues qui recouvrirent puis étouffèrent les platures coralliennes. Ces phénomènes naturels perturbent durablement la croissance et l’équilibre des coraux.

Ces phénomènes contribuent fortement à la dégradation des écosystèmes côtiers antillais et sont relayés par des facteurs anthropiques bien plus nombreux. 

 

II.2 Les pressions anthropiques

II.2.1 La pollution agricole

La pollution agricole résulte prioritairement d’une utilisation excessive de produits phytosanitaires. En Martinique, par exemple, ce sont chaque année près de 2000 tonnes d’insecticides, de pesticides et de fongicides (Direction de l’Agriculture et de la Forêt, 1994) et plusieurs milliers de tonnes d’engrais qui sont utilisées. Bien qu’aucune étude n’ait quantifié l’impact de ces produits sur l’environnement sous-marin et particulièrement sur les platures coralliennes, tout porte à croire que les pluies tropicales qui lessivent les sols agricoles, transportent des particules toxiques (en direction des baies) qui se déposent dans les sédiments marins et se fixent dans les tissus de la faune sous-marine. Des mesures effectuées dans la baie de Fort-De-France (Pellerin-Massicotte, 1991) soulignent les fortes teneurs en pesticides retrouvées dans les huîtres, par exemple. Les produits incriminés sont le DDT et le PCB dont les doses mesurées dépassent largement les seuils de toxicité couramment admis.

En Guadeloupe, bien qu’on utilise moins de produits phytosanitaires qu’en Martinique [environ 900 tonnes par an (DAF, 1991)], les sels minéraux libérés par ces produits s’accumulent dans les baies et favorisent la prolifération d’algues filamenteuses qui recouvrent les platures coralliennes et les étouffent progressivement : l’eutrophisation du milieu est en cours ; les coraux disparaissent alors graduellement. A cette pollution chimique, particulièrement nocive et sournoise, s’en ajoute une autre tout aussi destructrice : l’hyper sédimentation.

 

II.2.2 L’hyper sédimentation des baies

La baie de Fort-De-France (la plus grande baie de la Martinique) sert d’exutoire aux rivières qui drainent le centre de l’île. Après avoir traversé les domaines agricoles (bananeraies, champs de cannes à sucre, etc.) des communes de Saint-Joseph, de Ducos, du Lamentin ou encore de Rivière Salée, ces rivières, gorgées de sédiments terrigènes, se jettent dans la baie où elles déposent leur impressionnante charge sédimentaire. D’après des mesures effectuées par la Direction Départementale de l’Equipement (1984), la rivière Lézarde déposerait, en moyenne, chaque année 100000 m3 de sédiments dans la baie de Fort-De-France, alors que les rivières Monsieur et Salée en déposeraient respectivement 45000 m3 et 90000 m3. L’ensemble des rivières qui alimentent la baie de Fort-De-France fourniraient ainsi, chaque année, 550000 m3 de sédiments. Au rythme actuel de l’envasement, les fonds marins se dépeuplent et les rares platures coralliennes encore présentes sont progressivement recouvertes par une véritable chape sédimentaire. Cette situation est d’autant plus alarmante que la baie de Fort-De-France était considérée comme l’un des plus beaux sanctuaires coralliens.

En Guadeloupe aussi, l’hyper sédimentation des baies et des culs-de-sac est à l’origine de dégradations irréversibles. La déforestation massive des versants, organisée dès le milieu du XVIIe siècle à des fins agricoles, et la destruction progressive des mangroves littorales qui filtraient et retenaient les sédiments terrigènes, ont entraîné l’arrivée massive de sédiments qui en réduisant le niveau d’éclairement sous-marin et en colmatant les platures coralliennes ont favorisé leur disparition.

Si l’agriculture moderne est en partie responsable de la disparition des colonies coralliennes, les nombreux travaux côtiers réalisés ces dernières années en Martinique (extensions du port de Fort-De-France et de l’aéroport, constructions de routes littorales, etc.) et en Guadeloupe (port de Saint-François, marina de Pointe-à-Pitre, zone industrielle de Jarry, etc.) ont favorisé une augmentation de la turbidité des eaux côtières et par conséquent ont accru l’hyper sédimentation.

 

II.2.3 La pollution industrielle

Dès la fin du XVIIe siècle, la Martinique et de la Guadeloupe se sont spécialisées dans la production de sucre et de rhum. Si ces activités ont joué un rôle historique et social incontestable, force est de constater qu’elles ont eu et ont encore des incidences nocives sur l’environnement. A titre d’exemple, les vinasses (résidus liquides de distillation du rhum, très acides et riches en matières organiques) sont rejetées dans les rivières et dans les baies sans traitement préalable, ce qui entraîne une chute de la teneur en oxygène de ces milieux et par extension une asphyxie de la faune et de la flore. En Martinique, si aucune étude n’a été diligentée pour apprécier le phénomène, en Guadeloupe, la distillerie de « Bonne Mère », par exemple, rejetterait en moyenne, chaque année, 3000 tonnes de vinasses. D’après la Direction Régionale de l’Industrie et de la Recherche (DRIRE-Guadeloupe), les rejets annuels de vinasses des distilleries guadeloupéennes, équivaudraient (en pollution organique) aux rejets d’eaux usées domestiques non traitées de 180000 habitants. On comprend dès lors, la forte mortalité des coraux, l’aspect particulièrement nécrosé de ceux qui survivent et les dangers que cette pollution représente pour les mangroves ou encore les herbiers de phanérogames.

 

Les hydrocarbures participent aussi à l’appauvrissement des fonds marins et des écosystèmes littoraux. La Martinique possède une raffinerie dont la capacité de traitement annuel est de 800000 tonnes de pétrole brut. En dépit des mesures drastiques imposées pour lutter contre la pollution, des carottages effectués dans la baie de Fort-de-France ont révélé de fortes teneurs en hydrocarbures d’origine pétrolière (Mille et al., 1991).

En Guadeloupe, dans le Petit Cul-de-Sac Marin, la centrale thermique EDF de Jarry Sud était à l’origine d’une telle pollution en hydrocarbures, qu’elle a du être fermée à la fin de l’année 1999. D’après la DRIRE-Guadeloupe, la production annuelle de déchets industriels avoisinerait 5000 tonnes par an et serait constituée à près de 90 % de déchets d’hydrocarbures. Quand on sait qu’il n’existe actuellement aucune usine permettant de traiter ou de recycler ce type de déchets, les pollutions semblent inévitables.

Des mesures réalisées dans la baie de Fort-De-France (Martinique) et dans le Grand Cul-de-Sac Marin (Guadeloupe) ont révélé des teneurs en zinc, cuivre, plomb, cadnium, vanadium, nickel, cobalt à des taux supérieurs aux seuils de toxicité généralement admis pour la faune et la flore sous-marines. Si les peintures antifouling utilisées pour protéger les coques des navires pourraient expliquer les fortes teneurs en zinc et en cuivre, tout porte à croire que les autres métaux lourds pourraient provenir des huiles de vidanges, des effluents urbains ou du nettoyage du matériel industriel utilisé à proximité des baies et des culs-de sac.

 

En réalité, quelle que soit l’origine de la pollution industrielle, les conséquences sont les mêmes : diminution de la ressource halieutique, augmentation du taux de mortalité des coraux et désertification progressive des fonds marins.

 

II.2.4 La pollution urbaine

Bien que moins médiatique, la pollution urbaine est tout aussi nocive. En Martinique, cette pollution résulte d’un réseau de collecte des eaux usées insuffisant. A titre d’exemple, les cinq communes qui enserrent la baie de Fort-de-France totalisent plus de 170000 habitants, alors que les dix stations d’épuration actuellement en service sont prévues pour un peu plus de 130000 habitants. Certains quartiers ne sont donc pas raccordés au réseau de collecte des eaux usées et de nombreuses maisons individuelles ne disposent pas de fosses septiques ; des effluents usagés sont donc déversés dans les rivières via la baie de Fort-de-France. Ces eaux polluées favorisent la prolifération d’algues filamenteuses qui étouffent progressivement les coraux. A cela s’ajoute l’influence de la décharge communale de la Trompeuse (Fort-de-France), située en bordure littorale, dont les lixiviats alimentent régulièrement la baie en produits toxiques (métaux lourds, etc.) ; c’est également le cas pour la décharge de Céron (Sainte-Luce) où les eaux de lixiviation se déversent directement dans la mangrove (planche I et II).

En Guadeloupe, la situation est tout aussi alarmante puisque la décharge de la Gabarre, la plus grande de l’île, évacue quotidiennement ses lixiviats dans la rivière Salée via le Grand Cul-de-Sac Marin. Si ce phénomène est connu, notons que de nombreuses décharges sauvages situées en bordure côtière ou le long de ravines alimentent quotidiennement les baies en métaux lourds, en matières organiques et en divers autres polluants.

La pollution urbaine résulte aussi du faible nombre de stations d’épuration efficientes. Au début des années 1990, sur 20 stations d’épuration en service en Guadeloupe, seule une dizaine traitait convenablement les eaux usées.

La dispersion de l’habitat est aussi une cause majeure de pollution, puisque de nombreux  riverains ne s’équipent pas de fosses septiques ou disposent de fosses inadaptées donc inefficaces.

 

Face à ce constat, des solutions durables devraient être proposées.

 

 

III. Vers la mise en place de propositions concrètes

S’il est vrai que la dégradation des écosystèmes côtiers est importante aux Antilles françaises, cela résulte de politiques de planification urbaine et d’une gestion environnementale inadaptées. Pour réduire l’hyper-sédimentation et la pollution, il ne faut plus se contenter de n’intervenir qu’en aval, comme cela a été pratiqué durant de nombreuses années. En réalité, s’il y a envasement en aval, c’est qu’il y a érosion en amont ; il faut donc tout mettre en œuvre pour limiter l’érosion des versants, ce qui induira, à terme, une réduction des transports sédimentaires et parallèlement une diminution du ruissellement des eaux pluviales chargées en engrais, en pesticides, etc. L’une des actions prioritaires pourrait être de reboiser les surfaces dénudées, de façon à les stabiliser ; une meilleure surveillance des défrichements et des industries installées en bordure côtière semble aussi s’imposer. Les contrevenants pourraient alors faire l’objet d’amendes suffisamment élevées pour être dissuasives.

De plus, les industriels devraient se conformer rapidement à la législation sur l’eau (loi n° 92-3 du 3 janvier 1992) qui leur impose de récupérer et de traiter les effluents qu’ils produisent. Les industries cannières pourraient, par exemple, fournir des efforts dans le but de valoriser les vinasses et plus généralement tous les effluents liquides et les gaz ; des installations de traitement existent, mais demeurent très coûteuses, aussi des partenariats devraient être trouvés de façon à faciliter la mise en place de ces unités de traitement et de valorisation. Il ne faut pas perdre de vue que l’industrie cannière à des incidences nocives et durables sur les écosystèmes côtiers comme en témoigne la pollution de la Grande Rivière à Goyaves (Guadeloupe). 

Les industries sucrières ont l’avantage de pouvoir recycler certains de leurs rejets comme la bagasse, par exemple. L’usine de bagasse-charbon du Moule (Guadeloupe), s’est orientée  dans cette direction en valorisant sa bagasse qui lui sert de vraie source d’énergie renouvelable. Cette production d’énergie à partir de la biomasse pourrait également être réintégrée sous forme de combustible dans le cycle de production cannière.  Il en est de même des vinasses qui, après traitement, permettent d’obtenir des engrais de bonne qualité. Ces actions en faveur de l’environnement permettraient de rentrer de plein pied dans une démarche de  développement durable.

 

La gestion des pollutions urbaines devrait aussi s’inscrire dans le cadre d’une politique de planification plus efficace. A titre d’exemple, l’assainissement des eaux usées et des eaux pluviales présente de nombreuses lacunes qu’il serait souhaitable de résoudre rapidement. Les administrés des communes des Antilles françaises sont rarement raccordés au tout à l’égout se qui les conduit à mettre en place des systèmes de traitement individuel (fosse septique) peu efficients. Les administrés qui ne disposent d’aucun système de traitement sont nombreux et se voient dans l’obligation de rejeter leurs effluents directement dans le milieu naturel, via les cours d’eau. La mise en place de mini station d’épuration pourrait permettre de répondre à ce problème, notamment en zone rurale où l’absence de système épuratoire est fréquent du fait de l’éloignement de l’habitat. Il convient donc d’optimiser les rendements de ce système épuratoire afin de ne pas se retrouver dans une situation similaire à celle de l’île de Marie-Galante (dépendance de la Guadeloupe) où ces rendements étaient particulièrement médiocres.

Des solutions doivent également être trouvées pour la mise en conformité des décharges à ciel ouvert comme celle du Céron et de la Trompeuse en Martinique ou encore celles de Grand Camp de Goyave en Guadeloupe. La loi européenne du 12 juillet 1992, interdit la mise en décharge des déchets bruts au-delà du 1er juillet 2002, et la nouvelle politique d’aménagement de ces îles doit permettre de s’aligner sur cette voie. Il n’y a pas de solutions miracles à ce jour et il convient de traiter ces déchets à la source en intégrant les administrés à cette démarche ; cela semble simple à dire, mais il s’agit d’une nécessité.

Une gestion domestique pourrait aussi s’avérer efficace avec le développement du compost individuel pour les déchets organiques et les déchets verts ; un centre de compostage pourrait venir s’ajouter à ce mode de gestion afin de compléter le cycle. Pour ce qui est des matières recyclables (verre, plastique, carton, etc.) la sélection doit se fait à la source afin d’être acheminée vers un centre de récupération ; le développement de centre de tri pourrait aussi être une démarche intéressante dans le cas ou l’administré n’aurait pas la possibilité de réaliser cette sélection à son niveau.

Sans l’adhésion parfaite des administrés, cette solution n’aurait qu’un effet superficiel et la gestion des déchets ne serait qu’inefficace. Des déchets tels que les encombrants doivent également faire l’objet d’un tri ; à défaut de pouvoir recycler ces déchets sur place, un compactage s’avérera nécessaire.

L’objectif de cette politique d’aménagement est bien d’éradiquer les décharges à ciel ouvert, de s’aligner sur les directives européennes et en définitive de diminuer les eaux de lixiviation particulièrement néfastes pour l’environnement.

 

Toutes ces solutions devraient être appliquées rapidement, car l’augmentation de la teneur en gaz carbonique dans l’atmosphère, entraînera une diminution de la teneur en aragonite dans l’eau de mer, ce qui réduira le taux de calcification des coraux et fragilisera durablement leur structure. A terme, les coraux devraient être moins résistants et par conséquent beaucoup plus vulnérables face aux assauts des houles cycloniques et aux maladies d’origine bactérienne. La protection des mangroves est également une nécessitée et cela pourrait se faire par la définition d’aires protégées dans un but de conservation. 

 

 

Conclusion

Face à l’ampleur des dégradations, il importe d’agir rapidement en trouvant une adéquation entre les politiques de développement et la protection des écosystèmes  littoraux et marins. Les dégradations observées résultant de processus globaux, seule une démarche consensuelle pourrait permettre à terme de protéger le milieu. La coopération intercommunale pourrait être le fer de lance de cette démarche, car elle permettrait de définir une politique d’aménagement solidaire entre les communes.

L’élaboration de nouveaux outils d’aménagement devrait également passer par une meilleure connaissance des ensembles écosystémiques ; c’est d’ailleurs dans cette optique que les politiques doivent obligatoirement faire appel à des chercheurs confirmés, dans le but de contribuer à une meilleure connaissance des biotopes littoraux et marins.

 

 

Bibliographie

- Affaires Maritimes (AFMAR), 1997. Situation de la pêche en Guadeloupe. Synthèse des travaux des commissions des Affaires Maritimes (AFMAR), 22 p.

- DRIRE, 1994. Impacts de l’industrie sur l’environnement, SL : éditions DRIRE, 40 p.

- Phalente G. 1980. La pêche en Guadeloupe, CDDP, 60 p.

- Saffache P., Desse M. 1999. L’évolution contrastée du littoral de l’île de la Martinique, Mappemonde, 55, p. 24-27.

- Saffache P. 2000. Vers une disparition des attributs touristiques des Départements et Territoires d’Outre-Mer, Mer et Littoral, 43, p. 60-63.

- Saffache P. 2001. Caractéristiques physiques, fonctionnements dynamiques et modalités de protection du littoral martiniquais, Terres d’Amérique, 3, p. 293-312.

- Saffache P. 2002 (a). Les mangroves caribéennes : des milieux fragiles nécessitant une politique de gestion et de protection adaptée, La Revue Forestière Française, 4, p. 329-336.

- Saffache P. 2002 (b). Martinique et Guadeloupe : sanctuaires coralliens ou cimetières sous-marins ? Aménagement et Nature, 143-144, p. 77-82.

- Saffache P. 2002 ©. Aménager autrement le littoral martiniquais, Mer et Littoral, 53,  p. 60-62.

- Saffache P., Ramdine G. 2002 (d). Pêche et écosystèmes marins guadeloupéens, Aménagement et Nature, 143-144, p. 101-109.

- Saffache P., Marc J.V., Cospar O. 2002 (e). Les cyclones en Martinique : quatre siècles cataclysmiques (éléments pour une prise de conscience de la vulnérabilité de l’île de la Martinique). Paris : Ibis Rouge Éditions - Presses Universitaires Créoles, Collection Géographie & Aménagement des Espaces Insulaires, 197 p.

- Saffache P. 2003 (a). Saint-Martin et Saint-Barthélemy : état des milieux littoraux et recommandations pour une gestion durable, Ecologie et Progrès, 3, p. 50-63.

- Saffache P. 2003 (b). Les ports de plaisance et leurs impacts : petit guide méthodologique à l’attention des décideurs, Combat Nature, 140, p. 10-13.

- Desse M., Saffache P. 2003 (c). Les coraux dans la Caraïbe : dégradations et gestions différenciées, Ecologie et Progrès, 3, p. 89-105.

- Saffache P. 2003 (d). La préservation de la qualité sanitaire du milieu littoral : petit guide méthodologique à l’attention des décideurs, Ecologie et Progrès, 3, p. 106-117.

- Saffache P. 2003 (e). Dictionnaire de géographie de la mer et des littoraux. Paris : Ibis Rouge Éditions - Presses Universitaires Créoles, Collection Documents Pédagogiques – Géographie, 101 p.

- Saffache P., Marc J.V., Huyghues-Belrose V. 2003 (f). Les cyclones en Guadeloupe : quatre siècles cataclysmiques (éléments pour une prise de conscience de la vulnérabilité de l’archipel guadeloupéen). Paris : Ibis Rouge Éditions - Presses Universitaires Créoles, Collection Géographie & Aménagement des Espaces Insulaires, 276 p.

- Saffache P. 2004 (a). Plaidoyer pour la création d’aires marines protégées en Martinique, Études Caribéennes, 1, p. 47-54.

- Saffache P., Jandia J., Marc J-V. 2004 (b). Pour une gestion raisonnée du littoral martiniquais, La Géographie (Acta Geographica), n° 1513 (2004/II), p. 64-70.

- Saffache P., Marc J.-V. 2004 (c). Vers une tertiarisation des espaces maritimes : le cas des îlets Chancel et de Sainte-Marie (Martinique), Combat Nature, 146, p. 22-23.

- Saffache P. 2004 (d). L’ouragan Lenny : symptôme de la vulnérabilité du littoral martiniquais, Mer et Littoral, 61, p. 42-44.

- Saffache P., Marc J.V. 2004 (e). Le littoral martiniquais dans la littérature scientifique, éléments pour une connaissance approfondie du milieu. Paris : Ibis Rouge Éditions - Presses Universitaires Créoles, Collection Géographie & Aménagement des Espaces Insulaires, 170 p.

- Saffache P. 2004 (f). Dictionnaire de géographie de l’environnement. Fort-de-France : Éditions SCÉREN - Centre Régional de Documentation Pédagogique, Conseil Régional de la Martinique, 203 p.

- SIEE, 1998. Synthèse de la qualité des eaux et des milieux aquatiques de la Martinique. S.L. : S.N., rapport DIREN, 118 p.

Cela résulte des fortes précipitations cycloniques.

Fines particules de terre.

Dichloro-diphényl-trichlorétane : insecticide très toxique dont l’usage est prohibé en France et en Europe depuis plusieurs années.

Polychlorobiphényle : composé chimique dont la décomposition produit des furannes et des dioxines.

C’est la plus longue rivière de l’île de la Martinique (33, 4 km).

Une quinzaine environ.

Variété de carbonate de calcium participant à l’élaboration des squelettes coralliens.

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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 15:42

La Communauté d’Agglomération

du Centre de la Martinique (CACEM) :

plaidoyer pour une cohérence retrouvée

 

 

Pascal SAFFACHE, Didier MOULLET

Université des Antilles et de la Guyane, département de géographie-aménagement, BP 7207,

97275 Schœlcher Cedex, Martinique (FWI)

 

 

Introduction

En France, depuis la loi du 22 mars 1890 (date de création des premiers syndicats intercommunaux), le nombre d'EPCI n'a cessé de croître : on en compte aujourd’hui 2461. Cette volonté d’organisation et de rationalisation de l’espace est de plus en plus forte dans les Départements d’Outre-Mer, où les déséquilibres spatiaux sont nombreux et exacerbés par l’insularité ; l'intercommunalité semble donc un outil susceptible de répondre aux disparités spatiales, d’équipements et de services. Néanmoins, l'efficacité de ces groupements reste à démontrer à moyen et long termes.

C’est la raison pour laquelle, à travers le cas de la Communauté d'Agglomération du Centre de la Martinique (CACEM) – qui regroupe 43,4 % de la population totale de l’île répartie sur 15 % de sa surface (INSEE, 1999) – ses modalités de fonctionnement seront présentées et sa pertinence analysée.

 

I. La définition d'un périmètre communautaire : entre pragmatisme et utopie

Le 27 décembre 2000, les communes de Saint-Joseph, du Lamentin, de Schœlcher et de Fort-de-France ont abandonné le SICEM (Syndicat Intercommunal des communes du Centre de la Martinique) au profit d’un EPCI disposant d'un plus grand nombre de compétences : la communauté d'agglomération. L’un des objectifs premiers d’une communauté d’agglomération est d’améliorer le cadre de vie de ses administrés, en mettant à leur disposition l’ensemble des équipements et des services dont ils ont besoin (traitement et valorisation des ordures ménagères, assainissement, mise en place de dispensaires, d’écoles, etc.). Ainsi, pour répondre à cette demande, les quatre communes de la CACEM ont dû transférer une partie de leurs compétences à la communauté d'agglomération.

Une question demeure néanmoins : quels facteurs ont prévalu pour délimiter l’espace communautaire ? Répondre à cette question s’avère d’autant plus difficile, quand on sait que cet espace n’intègre pas l’aire d’attraction du binôme Fort-de-France / Le Lamentin, dont l’influence s’exerce bien au-delà du périmètre de la CACEM. Cet espace communautaire ne reflète donc pas la réalité des bassins d'emplois, d'équipements, d'habitats ou encore de déplacements qui prévalent au centre de l’île (figure 1). On peut donc légitimement penser que cette structure est trop étroite au regard de ses compétences et de l'étendue de ses ressources financières.

Des outils de planification venant d’être mis en place, il semble tout aussi légitime de s’interroger quant à leur efficacité. 

 

II. Des outils de planification qui se veulent cohérents
II.1 Une planification des politiques urbaines

Le premier outil de planification est le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT). Il s’agit d’un document qui permet d’ajuster au mieux les futures politiques d'aménagement de l’espace communautaire et d’en déterminer les grandes orientations à court, moyen et long termes. Les SCOT doivent permettre aussi la mise en place d’une véritable politique urbaine ; une bonne définition du périmètre communautaire s’avère donc primordiale.

Dans le cas de la CACEM, non seulement le contrat d'agglomération accuse un certain retard (puisqu’en octobre 2004 ce document n'était toujours accepté), mais certains volets manquent de substance ; c’est le cas notamment du volet « Foncier et urbanisme opérationnel » qui se réduit à un simple constat sous forme d’énumérations.

En outre, le périmètre du SCOT semble trop restreint, car il se superpose à celui de l'EPCI. A titre d’exemple, le SCOT du Beaujolais – en France métropolitaine – comprend 137 communes réparties au sein de 13 communautés de communes ; quand on sait que la Martinique ne compte que 34 communes réparties sur 1128 km², l'élaboration de trois SCOT – correspondant aux périmètres des trois EPCI locaux – sous-tend des volontés politiques difficiles à cerner.

II.2 Le cas particulier du transport

Le Plan de Développement Urbain (PDU) de la CACEM, met une nouvelle fois en relief le manque de cohérence du périmètre communautaire. En réalité, l'effort mené par cet EPCI en matière de transport urbain devrait s'étendre aux communes concernées par l'aire d'attraction du binôme Fort-de-France / Le Lamentin. En outre, le PDU de la CACEM ressemble davantage à un catalogue de bonnes intentions, qu’à un document susceptible de répondre aux problèmes du transport dans l'agglomération. En dehors des infrastructures qui ont pour objectifs d'améliorer la mobilité des usagers (trottoirs, adaptations pour les personnes handicapées, réfections de chaussées, etc.), le transport en commun à l'échelle de l'agglomération risque d'être décevant, car il sera directement intégré dans la circulation automobile, risquant ainsi d’accentuer sa congestion.

En réalité, pour attirer un maximum d'usagers vers un mode de transport collectif, il faudrait que celui-ci soit physiquement indépendant du trafic routier, ce qui conduit à la mise en place d’un Transport Collectif en Site Propre (TCSP). Ce projet de TCSP a bien été intégré dans le PDU de la CACEM, cependant, les coûts de réalisation de cet ouvrage sont importants – le montant provisoire du TCSP urbain est de 228 millions d'euros – et risquent d'être rapidement revus à la hausse compte tenu des caractéristiques topographiques, lithologiques et de la densité du tissu urbain. En dépit des difficultés financières et/ou techniques de ce projet, le TCSP urbain est l’une des solutions les plus réalistes permettant de fluidifier le trafic.

La CACEM peut véritablement être considérée comme une réponse aux déséquilibres spatiaux, mais il faudrait cependant que le périmètre communautaire convienne mieux aux réalités fonctionnelles de l'île.

 

III. Quelques orientations pour définir un périmètre plus cohérent

L’objectif premier serait de faire correspondre le périmètre de l’EPCI aux bassins d'équipements, d'emplois, de déplacements et d'habitats ; cela correspond à ce que certains politiques appellent une « intercommunalité réfléchie ».

Il paraît tout aussi évident que l'élaboration de trois SCOT sur un espace aussi exigu relève de l’incohérence. L’objectif n’est pas de mettre en place un EPCI qui regroupe l’ensemble des communes du département – puisque le périmètre d'un EPCI à fiscalité propre ne peut être celui d’un département – toutefois des ajustements s’avèrent nécessaires.

D'autres actions peuvent ensuite être menées dans le but d’accroître la crédibilité de la structure. Des politiques de « labellisation » des équipements et des services les plus sollicités devraient être réalisées ; cette politique peut être orientée notamment vers une certification des pépinières d'entreprises, le but étant de garantir aux jeunes porteurs de projets, un service de qualité. La certification sera ainsi une assurance d’avoir des équipements qui répondent aux exigences des entreprises.

 

Conclusion    

L'intercommunalité est un mode de rationalisation et de réorganisation de l’espace qui à déjà fait ses preuves dans de nombreux domaines, tel que le traitement et la valorisation des ordures ménagères, la gestion de l'eau (adduction, assainissement, etc.) ou encore le domaine foncier. Toutefois, il ne suffit pas d'avoir un outil efficace entre les mains, il faut surtout en faire un bon usage. Ainsi, on peut considérer que la réussite d'une démarche intercommunale dépend essentiellement de la volonté des élus à en faire un réel outil de développement économique et d'aménagement ; l'objectif étant de réduire les déséquilibres spatiaux entre les communes.

La carte intercommunale de la Martinique ne correspondant pas aux réalités fonctionnelles de l'île, cela soulève la question de l'efficacité à long terme de ces établissements. Une coopération intercommunale efficace passe obligatoirement par une bonne définition ou une redéfinition du périmètre communautaire.

 

 

Bibliographie

- Audebert C., Saffache P. 2002. Les quartiers populaires de la ville de Fort-de-France : approche socio-historique et intégration urbaine, La Géographie (Acta Geographica), 1507, p. 20-31.

- Moullet D. La CACEM : de la recherche d’une cohérence territoriale aux déséquilibres spatiaux. Paris : Éditions Publibook Université, Collection Sciences Humaines et Sociales, Série Aménagement et Environnement (sous presse).

- Saffache P. (dir.). 2002. Les outre-mers français et le développement durable.  Paris : Éditions Ibis Presse (Aménagement et Nature), 174 p.

- Saffache P. (dir.). 2003. Aménagement, environnement et développement dans les Départements et Territoires d’Outre-Mer. Paris : Éditions SFM (Écologie et Progrès), 119 p.

 

 

Les Communautés d'Agglomération ont une fiscalité propre et quatre blocs de compétences obligatoires : développement économique, aménagement de l'espace communautaire, politique de la ville et équilibre social de l'habitat.

Le SCOT doit permettre de donner plus de "cohérence" aux politiques urbaines intercommunales ; Et cela à l'aide des Projets d'agglomération et des PLU.

En Martinique, il existe trois EPCI : la CACEM (Communauté d’Agglomération du Centre de la Martinique), l’Espace Sud et la CCNM (Communauté de Communes du Nord de la Martinique).

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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 14:14
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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 13:54
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